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Sébastien Demorand

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(Cantines)
"
La cantine fait partie du patrimoine gourmand des plus grands chefs"
De la cantine, Sébastien Demorand garde le souvenir des saucisses molles, des épinards visqueux et des fromages en plastique. Un lieu de découvertes gustatives bonnes ou très mauvaises, mais surtout une atmosphère. Un souvenir qui ressurgit dans un livre rempli d'anecdotes et de recettes de cantine revues par des grands chefs. (Octobre 2006)
 

En deux mots, quelle est l'idée de "Cantines" ?
Sébastien Demorand On peut dire que c'est un livre de recettes qui n'est pas un livre de recettes, mais qui est un peu un livre de recettes quand même (rires). Si vous voulez, c'est un livre à manger et à lire. D'un côté, on a une recette de cantine revue et corrigée par des grands chefs, de l'autre l'évocation d'un souvenir de cantoche. C'est à la fois un livre de recettes pratiques et un livre d'évocation pour donner envie de lire et de manger. Une façon de retrouver l'atmosphère de la cantine à travers des plats repensés par des cadors.

Le livre s'adresse donc avant tout aux anciens demi-pensionnaires ?
Dans une certaine mesure oui, mais après avoir parlé avec tous les chefs, nous nous sommes rendus compte qu'il n'y avait pas tant de monde que ça qui ne mangeait pas à la cantine. Un ou deux peut-être sur la vingtaine de chefs à laquelle nous nous sommes adressés.

Comment ont-ils réagi le plus souvent ? Ils n'ont pas trouvé cette démarche contradictoire avec leur cuisine ?
Au contraire, ça les a fait rire. C'est super loin de ce qu'on leur propose d'habitude. Ce qu'on a fait avec Emmanuel Rubin (co-auteur, ndlr), c'est qu'on a listé les recettes et on les a proposées en fonction des chefs et des caractéristiques de leur cuisine. En gros on leur a dit : "vous vous souvenez de ce plat vraiment pas bon de la cantine, hé bien cuisinez-le à votre façon pour faire en sorte qu'il devienne délicieux !" Pas un chef ne nous a dit non, et on aurait même pu en faire collaborer beaucoup plus.

 

"La cantine, c'est l'apprentissage du goût et du dégoût"

De toute façon, plus que les plats de la cantine, c'est l'atmosphère que vous souhaitiez évoquer ?
Bien sûr, la cantine, c'est d'abord une atmosphère, et puis le fait d'apprendre à manger ensemble, ce qu'on peut appeler la sociabilité ou un "joyeux bordel". Car c'était ça la cantine quand même.

Mais question formation du goût, il y a mieux non ?
Non, la cantine n'empêche pas la formation du goût, au contraire. Elle forme le goût, mais aussi le dégoût. Que ce soit bon ou mauvais, ça reste une forme d'apprentissage, et un bon apprentissage vu que l'on reste marqué à vie. Bon c'est sûr, on peut changer d'avis avec le temps, je pense notamment aux betteraves. On ne peut pas aimer les betteraves quand on est petit, c'est impossible ! (rires) Mais le couscous par exemple. La découverte du bouillon, des légumes, de la fausse harissa, c'est formidable pour un gamin, même si c'est le couscous horrible de la cantine. Et il ne faut pas oublier que de nombreux chefs ont été en partie formés par la cantine. Il faut arrêter de croire que ces grands noms n'ont connu que les produits frais de la ferme ! Leur patrimoine gourmand est aussi fait des plats de la cantine.


LE LIVRE
Cantines, recettes cultes corrigées par les chefs,
Agnès Vienot éditions, 28 euros
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La cantine comme révélateur de saveurs ?
Mais le choix est bien plus riche à la cantine qu'à la maison mine de rien ! Moi par exemple, je n'avais jamais mangé de friands avant la cantine. Ça n'existait pas chez moi, alors qu'en plus j'aimais ça.

Vous avez fait appel à plusieurs acteurs du monde gastronomique (Julie Andrieu, Eric Roux...) qui évoquent leurs souvenirs de cantine. La plupart des commentaires respirent la nostalgie. On pense évidemment à la Madeleine de Proust...
Peu importe que les plats de la cantine aient été bons ou pas finalement, ce qui compte encore une fois, c'est l'atmosphère. On a souvent tendance à magnifier le passé, l'enfance en particulier. Dans les commentaires du livre, on trouve essentiellement des bons souvenirs et peu de mélancolie. Quant à l'aspect proustien, il est évident. Aussi loin qu'ils remontent, ces souvenirs sont ancrés profondément en nous, impossible d'en faire l'impasse.

Un plat de la cantine en particulier vous a vous-même marqué je suppose ?
Probablement les alouettes sans tête. J'en garde un souvenir incroyable, si bien que la nostalgie m'étouffe clairement quand j'y repense. D'autant que c'est un plat qui n'est servi nulle part. J'ai fait un grand nombre de restaurants et troquets et je n'en trouve pas, alors que c'est un classique ! Oui, les alouettes sans tête me manquent. Je lance d'ailleurs un appel à tous les restaurateurs : remettez de l'alouette sans tête à vos menus s'il vous plaît.

Des rapports et des émissions de télévision ne cessent de remettre en cause les menus de la cantine. Quelle est votre position, vous qui en gardez plutôt de bons souvenirs ?
En fait, c'est un débat que l'on n'a pas trop voulu évoquer dans le livre. L'idée était de faire renaître la gourmandise d'un passé révolu, faire une apologie d'une atmosphère, pas d'une cuisine, et donc surtout pas de s'attarder sur ce qui se fait aujourd'hui. Cela étant, il est clair que l'alimentation scolaire est un énorme défi, dont il faudrait prendre davantage conscience. Je pense notamment aux questions de santé. Le goût est important mais ça vient après. Ce qui compte c'est de transmettre la notion de santé dans l'assiette, c'est indispensable. Mais globalement on peut dire qu'il y a du progrès, même s'il est amusant de constater que certains plats ou produits sont au menu des cantines depuis des décennies.

 

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