Michel Bras, un autodidacte modeste

Celui qui s'est formé seul en aidant sa mère dans le restaurant familial affiche désormais trois étoiles. Auteur de plusieurs livres de recettes, Michel Bras a réussi à faire bouger les lignes de la cuisine dans son restaurant de l'Aveyron.

Michel Bras, un autodidacte modeste
©  SASHENKA GUTIÉRREZ - SIPA

Très tôt aux fourneaux, le chef étoilé Michel Bras est un autodidacte amoureux de la nature. Son désir d'explorer lui a permis de créer deux plats emblématiques : le gargouillou de légumes et le coulant de chocolat. Avec sa femme Ginette et son fils Sébastien, il domine la commune de Laguiole depuis son restaurant Le Suquet, prêt à relever de nouveaux défis.

Biographie d'un passionné de cuisine

"Nul autre que Michel Bras ne sait orchestrer un tel festin avec autant de simplicité, de légèreté, de diversité, et de créativité". Celui dont les grands critiques Gault et Millau tissent les louanges a baigné toute son enfance dans le milieu de la restauration. Né à Gabriac, dans l'Aveyron, le 4 novembre 1946, Michel Bras (se prononce Braz), a rapidement été mis à contribution pour aider ses parents. En 1956, sa mère Lou Mazuc, surnommée plus tard Mémé Bras, ouvre un restaurant à Laguiole pour compenser la baisse des revenus de son mari maréchal-ferrant. Elle y propose une cuisine ménagère savoureuse. Michel Bras reçoit donc une initiation précoce, et évolue en tant qu'autodidacte derrière les fourneaux familiaux. En 1968, une fois marié à sa femme Ginette, il reprend le restaurant et développe sa cuisine créative, inspirée du terroir d'Aubrac, des herbes fraîches et des fleurs des champs. Les critiques gastronomiques adhèrent, et le chef ouvre un nouveau restaurant, Le Suquet, en 1992.

Sur une colline dominant Laguiole, l'établissement est classé Relais & Châteaux dès son ouverture. Désormais père, Michel Bras s'entoure de sa famille sur son lieu de travail et partager sa passion avec les personnes qu'il aime l'aide à créer, selon lui. La formule s'avère gagnante, car son restaurant reçoit trois étoiles au Guide Michelin en 1999. Il sera ensuite classé plusieurs fois parmi les dix meilleurs restaurants au monde. A partir de 2002, il publie ses premiers livres de recettes : Bras, Essential cuisine, Petits festins et desserts. D'autres suivront.

Fort de sa réputation et de son succès, Michel Bras ouvre un deuxième restaurant gastronomique au sein de l'hôtel Windsor d'Hokkaido, au Japon. Il est assisté par son fils, Sébastien Bras, également passionné de cuisine. C'est d'ailleurs à ce dernier que revient la gestion du Suquet à partir de 2009. "Le Suquet n'est pas un restaurant, c'est notre maison. Je suis fier de la transmission qui s'est opérée depuis que lui et son épouse Véronique ont pris les rênes", déclarera-t-il quelques années plus tard.

Entre-temps, aidé par son frère forgeron André Bras, le chef collabore avec l'entreprise japonaise KAI pour mettre au point une gamme de couteaux destinée principalement aux professionnels de la restauration. Malgré sa réussite, Michel Bras reste très discret d'un point de vue médiatique. Seule exception : en 2012, quand le film documentaire Entre les Bras met à l'honneur son travail et celui de son fils Sébastien. Deux ans plus tard, Michel Bras ouvre une brasserie dans le musée Pierre Soulages, à Rodez, ainsi qu'un établissement original de restauration rapide à Toulouse.

Ce passionné de course à pied, de jardinage, de poésie, de voyages et de photographie est désigné comme le chef le plus influent au monde par 528 chefs étoilés en 2016. Surpris et touché, il affirme modestement au Figaro : "Cela étant dit, franchement, je ne pense pas être le meilleur cuisinier du monde".

L'année suivante, un changement bouscule Le Suquet. Après une longue réflexion, et l'aval de son père, Sébastien Bras annonce avoir demandé la suppression du restaurant du Guide Michelin. "Je vais pouvoir me sentir libre, sans me demander si mes créations vont plaire ou non aux inspecteurs", indique-t-il. Son père le soutient : "La plus belle des étoiles c'est le client. On en a parlé longuement, nous sommes une famille très unie. Je conçois très bien qu'il veuille prendre ce chemin".

Avide de nouvelles expériences, Michel Bras a finalement accepté de tenter l'aventure dans la capitale. Le chef aveyronnais s'est vu confier les rênes du restaurant au sein de la Bourse de Commerce, le nouveau site de présentation de la Collection Pinault, à Paris. Cette enseigne, baptisée La Halle aux grains, devrait ouvrir ses portes en 2019.

Restaurant : une maison familiale

Le Suquet est un établissement situé sur les hauteurs de l'Aubrac. Il comporte un hôtel, ainsi qu'un restaurant. Entouré par les douceurs de la nature aveyronnaise, cette "maison" dégage une ambiance détendue, familiale et très chaleureuse. La mère de Michel Bras a préparé pendant longtemps les repas pour le personnel, son père répare le mobilier et les ustensiles, sa femme Ginette s'occupe du service et de la décoration, son fils est aux fourneaux et sa belle-fille à l'accueil.

Une équipe d'une soixantaine de personnes vient compléter cet orchestre, afin d'assurer la préparation d'environ 500 assiettes journalières. Celui qui ne se fait pas appeler "chef", mais "Michel" est fier de pouvoir compter sur cette famille élargie. Son rapport avec ses employés est connu pour être dénué de la violence malheureusement répandue dans le milieu de la restauration. Résultat : un groupe soudé, fidèle, qui transmet son savoir-faire via sa cuisine.

La même ambiance se ressent dans les deux autres établissements de la famille Bras. Si le fast-food de Toulouse, Le Capucin, n'a pas su trouver sa clientèle et a fermé ses portes en 2016, le Café Bras, à Rodes, et le Toya, au Japon, tournent toujours.

La poésie des herbes en cuisine

Michel Bras trouve l'inspiration dans la nature qui l'entoure. Le plateau d'Aubrac, "dominé par le silence, rempli de lumière", lui offre une variété d'environ 2000 herbes aromatiques et fleurs. Sa cuisine est donc parfumée, selon les saisons, de thym, de sauge, de trèfle, d'églantine, de verveine, de jonquille ou d'armoise. Mais la vraie star du restaurant est la cistre, une plante qui se trouve à plus de 700 mètres d'altitude, appelée aussi fenouil des montagnes.

En plus de ses cueillettes régulières, le chef prend le temps d'aller au marché pour choisir les produits tout en favorisant les filières locales. Dans l'assiette, les créations de Michel Bras réveillent les cinq sens des convives. "Pour moi, la cuisine, c'est aimer l'autre. Comme une maman avec son enfant", disait-il au Figaro, en 2016.

Recettes : légumes et chocolat

Au cours de ses années de travail dans le restaurant de sa mère, puis au Suquet, Michel Bras a eu le temps de révolutionner le monde de la cuisine, grâce notamment à deux créations : le Gargouillou de jeunes légumes et le coulant au chocolat. Le premier est né dans les années 1980. Renouvelé sans cesse en fonction des saisons, le Gargouillou est un mélange de jeunes pousses, légumes, feuilles, fleurs, graines ou racines, assaisonné d'un lait de poule et d'un jus de jambon. Un véritable hommage à la nature, au parfum auvergnat. "Cette création représente un véritable concentré de mon travail, mon art. C'est un plat qui me colle à la peau, et chacun est libre de l'interpréter comme il l'entend".

Le coulant au chocolat, dessert-signature du chef, "est parti d'une émotion, d'un retour à la maison après une sortie de ski de fond, par un temps exécrable". La famille déguste un chocolat chaud, et Michel Bras met au point cette recette dans le but de retranscrire son sentiment du moment. Au bout de deux ans de travail, en 1981, il est satisfait du résultat, et ressent "un enthousiasme et une fierté que l'on vit rarement dans une vie de cuisinier". Le fondant est composé d'une pâte à biscuit et d'une ganache au chocolat congelée qui, une fois réchauffée, se met à fondre comme une coulée de lave. Cette création est désormais déclinée partout dans le monde.

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