Joël Robuchon, cuisinier légendaire aux 32 étoiles

De Meilleur ouvrier de France, le chef Joël Robuchon est passé Cuisinier du siècle. Ses multiples restaurants et sa purée légendaire lui ont permis d'obtenir 32 étoiles. Sa mort a été un choc pour le monde de la gastronomie. Retour sur le parcours hors norme de ce chef d'exception.

Joël Robuchon, cuisinier légendaire aux 32 étoiles
© HARSIN ISABELLE/SIPA

Véritable pionnier de la gastronomie et auteur à succès, Joël Robuchon est décédé le 6 août 2018 des suites d'un cancer, laissant derrière lui un empire mondial de restaurants, salons de thé, pâtisseries et boutiques. Une disparition qui a marqué ses pairs. Près de 2000 personnes lui ont rendu hommage lors de ses obsèques.

Une biographie de l'action à la transmission

C'est le chef qui a reçu le plus grand nombre d'étoiles au monde, mais à sa naissance, le 7 avril 1945, rien ne prédestinait Joël Robuchon à son futur succès. Celui qui deviendra officiellement Cuisinier du siècle a grandi à Poitiers auprès de son père maçon et sa mère femme de ménage. Il reçoit une éducation catholique et entre au Petit Séminaire de Mauléon, dans les Deux-Sèvres, lorsqu'il a 12 ans. C'est en aidant les religieuses à préparer les repas qu'il se découvre une passion pour la cuisine. Au lieu de devenir prêtre, il débute son apprentissage à 15 ans auprès du chef Robert Auton, au Relais de Poitiers. À 21 ans, il rejoint les Compagnons du Devoir. Il y développe son sens du perfectionnisme, et répète "La perfection n'existe pas ! On peut toujours faire mieux".

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© REVELLI-BEAUMONT/SIPA

En 1974, âgé de 29 ans, il dirige les cuisines de l'hôtel Concorde Lafayette, dans le 17e arrondissement de Paris. Pas moins de 90 cuisiniers suivent alors ses ordres pour servir des milliers de repas par jour. Au bout de deux ans, il est sacré Meilleur Ouvrier de France. Il travaille ensuite en tant que chef et directeur de la restauration à l'hôtel Nikko, où il décroche ses deux premières étoiles au Guide Michelin.

Il faudra attendre décembre 1981 pour que Joël Robuchon ouvre son propre restaurant, Le Jamin. Le succès est tel qu'il obtient trois étoiles en un temps record, de 1982 à 1984. Nommé Chef de l'année puis Cuisinier du siècle par Gault & Millau, il se forge toutefois une réputation de mauvais caractère, qui le suivra toute sa vie. Il avoue à Paris Match en 2009 avoir été "longtemps intransigeant, avec des excès et des colères noires".

Dès 1987, il profite de sa renommée pour collaborer avec des groupes dans l'industrie agro-alimentaire comme Fleury Michon, Reflets de France et Ariake. Après dix années de succès au Jamin, il ouvre son restaurant éponyme, sacré Meilleur Restaurant du Monde en 1994 par l'International Herald Tribune.

Désormais père de deux enfants, et conscient des ravages d'un excès de stress sur sa santé, le chef rend son tablier à 51 ans et prend sa retraite en Espagne. Il ne sera plus jamais aux commandes d'un restaurant, mais cette décision ne l'empêche pas d'exercer son talent. Dans l'espoir de communiquer et transmettre sa passion, il écrit des livres de recettes, apparaît devant le petit écran et organise des formations. Son but : démocratiser la cuisine grâce à différentes émissions comme Cuisinez comme un Grand Chef, ou encore Bon Appétit Bien Sûr, qu'il animera pendant plus de dix ans. Plus tard, il lancera Planète Gourmande, et participera même à Top Chef.

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© GERARD BEDEAU/TF1/SIPA

Son expérience en Espagne et ses voyages au Japon l'inspirent. En 2003, il ouvre L'Atelier dans le 7e arrondissement de Paris et à Tokyo. C'est un concept très original pour l'époque : une cuisine de qualité proposée dans une ambiance chaleureuse. "L'idée m'en est venue dans les bars à tapas, en Espagne, dont j'apprécie la convivialité. Je cherchais une formule où il puisse se passer quelque chose entre les clients et les cuisiniers", racontait-il à L'Obs. Fort de son succès, le chef décline sa création dans le monde entier. À Las Vegas, New York, Londres, Hong Kong, Taipei, Singapour, Bangkok, Shanghai et Montréal, les produits et la carte s'adaptent. "Quand vous avez un produit local qui est de qualité, et que vous le traitez en cuisine française, le résultat est bon !"

En plus des Ateliers, le chef ouvre un restaurant gastronomique à Tokyo, un autre établissement à Macao et un troisième à Las Vegas. Ils obtiennent tous trois étoiles chacun. Un restaurant récompensé par deux étoiles est ouvert à Monaco et de multiples salons de thé, pâtisseries, boutiques, caves à vin, bar à saké et autres restaurants gastronomiques fleurissent sous la direction de Joël Robuchon. Mais le chef ne s'arrête pas là. À plus de 70 ans, il lance une école à son nom : l'Institut Joël Robuchon. Le chef affiche un record absolu de 32 étoiles en 2016. L'empire est né. Près de 1 200 employés en font partie.

Mais l'empereur n'est pas immortel. La mort l'emporte le 6 août 2018 à Genève. Son décès, des suites d'un cancer, marque le monde de la gastronomie. Lors de ses obsèques, plus de 2000 personnes lui rendent hommage à Poitiers. Le Président de la République, Emmanuel Macron, écrit dans un communiqué : "Son nom et son style incarnent la cuisine française dans le monde entier, symbolisent un art de vivre, une exigence du travail bien fait, et disent les richesses de nos traditions".

Restaurant : un Atelier noir et rouge

Joël Robuchon a mis en place une foule d'établissements aux styles très variés aux quatre coins du monde. Mais certains ont contribué à son succès plus que d'autres, notamment les fameux "Atelier". Le concept est très innovant à l'époque : on ne réserve pas sa table, mais on fait la queue pendant des heures et on s'assied autour d'un grand comptoir avec vue sur la cuisine. Les produits y sont simples mais exceptionnels.

Alors que les couleurs des restaurants de luxe ont toujours été le blanc et le doré, L'Atelier de Joël Robuchon est rouge et noir. D'ailleurs, les chefs arborent des tabliers noirs et Joël Robuchon lui-même finira par ne porter plus que des vêtements sombres. Ses douze "Atelier" ouverts partout dans le monde lui rapportent une totalité de 15 étoiles.

S'ouvrir au monde pour se réinventer en cuisine

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© ALPHONSUS CHERNAP/SIPA

"La maîtrise de l'alliance des saveurs des meilleurs produits, c'est vraiment ce qu'il y a de plus beau dans la cuisine !" Tout au long de sa carrière, Joël Robuchon est resté très exigeant concernant le choix des produits et la simplicité de l'exécution. "Le plus dur, c'est ce qu'il y a de plus simple", explique-t-il à L'Express. Les chefs qu'il a formés, comme le très médiatisé Gordon Ramsay, ont adopté ces principes.

L'amour et la passion, au-delà de l'aspect technique, représentent les piliers de la cuisine du chef multi-étoilé. Il estime que ces qualités permettent au cuisinier de créer une émotion dans l'assiette. "La cuisine, ce n'est pas quelque chose qu'on peut codifier". Une fois ces bases posées, il ne reste plus qu'à s'ouvrir au monde et se lancer. "Je n'ai jamais vu un pays où je n'ai pas appris quelque chose".

Comme en témoignent ses livres, Joël Robuchon a commencé à modifier sa façon de cuisiner au cours des dernières années de sa vie, pour rendre ses plats plus sains. Exit les composants et additifs. Moins de beurre, moins de sel et moins de sucre permettent de faire une cuisine équilibrée. Il finit même par déclarer que "la cuisine végétarienne sera l'un des axes de l'évolution de la cuisine".  

Recettes : la légende d'une purée

Impossible d'évoquer le nom Joël Robuchon sans parler de son plat signature. Une salade truffe-caviar-saumon ? Non. Une tartelette aux fruits rouges et fleurs des champs ? Non plus. Il s'agit de… la purée de pommes de terre. Cette recette est devenue iconique dès les années 80 grâce à une critique du Herald Tribune.

La célèbre purée Robuchon est composée d'un kilo de pommes de terre rattes et environ 300 grammes de beurre froid dans sa version initiale. Elle est ensuite allongée au lait chaud. C'est son caractère onctueux et savoureux qui en fera sa renommée. Pendant près de trois décennies, les clients n'ont cessé de la réclamer. Même si le chef aurait préféré que d'autres créations comme les ravioli de langoustines ou la crème de chou-fleur au caviar rencontrent le même succès, il aura été obligé d'accepter que son nom soit éternellement lié à sa purée.

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