(Restaurant Anahuacalli)
"La gastronomie mexicaine et le tex-mex sont deux cuisines bien distinctes"
A 57 ans, Tony Spinosa, chef du restaurant l'Anahuacalli à Paris, maîtrise mieux que quiconque les secrets de la cuisine mexicaine.
Pour ce natif de Vera Cruz, son pays offre d'ailleurs le plus large éventail gastronomique du monde.
(Juin 2005)
On a souvent tendance à croire que la cuisine mexicaine est très épicée, qu'en est-il vraiment ?
Tony Spinosa Bien sûr, il existe certains plats épicés, mais la majorité sont des mets très doux, comme en France. C'est un cliché. Par contre, c'est vrai que sur la table on trouve toujours de quoi relever un plat ou une sauce pour celui qui le souhaite. Mais c'est exactement comme la moutarde en France, elle est toujours sur la table sans que tout le monde l'utilise forcément.
De même, certains caricaturent la cuisine mexicaine, en sous-entendant qu'elle n'est pas variée...
C'est faux, je vous le dis tout de suite ! Si j'osais, je dirais même que c'est la plus variée du monde... Chaque grande ville connaît 200 ou 300 recettes différentes. C'est une cuisine très vaste dans la mesure où nous sommes des touche-à-tout. Nous mangeons toutes les viandes, tous les légumes, les volailles, les poissons.
Mais côté dessert, c'est peut-être moins étendu, non ?
C'est un peu vrai en ce qui concerne les desserts typiquement mexicains. On trouve le gâteau au maïs, celui aux 3 laits, et même la glace au maïs dont je garde précieusement la recette. A part ça, beaucoup de desserts sont issus de la gastronomie espagnole ou arabe, du fait de la présence de ces derniers dans la Péninsule ibérique.
Parlons de l'influence de la cuisine espagnole justement, elle est très présente ?
Tout comme l'influence de la cuisine arabe. Maintenant, il existait déjà une cuisine mexicaine avant l'arrivée des Espagnols qui a elle-même influencé la cuisine européenne. La tomate par exemple vient de chez nous. Elle a été importée par les Espagnols qui la considéraient comme du poison. Il a fallut que les Italiens se penchent dessus pour qu'on la mange en Europe.
Quels sont les grands classiques de la cuisine mexicaine ?
Le mole poblano (dinde au chocolat), les tamales, (viande cuite dans des feuilles de bananiers), les quesadillas au fromage ou aux champignons de maïs cuitlacoche, et bien sûr les fajitas.
Et les ingrédients dont vous vous servez, sont-ils faciles à débusquer ?
Oui, de nos jours on trouve quasiment tout ce qu'il faut. Contrairement à il y a 30 ans, je n'ai plus à "bricoler".
"Bricoler" ?
Oui, pour cuisiner mes plats mexicains, je devais utiliser des produits chinois ou arabes dont les saveurs se rapprochaient des condiments mexicains. Mais aujourd'hui c'est fini. Que ce soit les tomates vertes ou le reste, je fais presque tout importer. Même les piments, dont on utilise de nombreuses variétés, sont désormais presque faciles à trouver en France. Il reste quand même quelques herbes, comme l'epazote par exemple, qui sont difficiles à dénicher, et que je fais donc pousser sur ma terrasse pour ma consommation personnelle !
Quel est votre plat préféré ? Ou celui que vous réussissez le mieux ?
Je ne suis pas difficile, j'aime tout. Mais c'est vrai que je recommande souvent le cochinita pibil. C'est un plat de viande de porc, mais qui peut-être au poulet ou au poisson également, mariné dans du jus d'oranges amères et des graines de rocouyer. Le tout est cuit à l'étuvée dans une feuille de bananier. Un régal.
Comment les mexicains utilisent-ils le chocolat ? Plutôt en sucré ou salé ?
Les deux. On fait aussi bien des boissons sucrés au chocolat et au maïs, que des sauces au chocolat pour le mole poblano.
Les gens confondent souvent cuisine mexicaine et tex-mex, non ?
Dans la mesure où la cuisine tex-mex a été mise au point par des immigrés mexicains installés dans le sud des Etats-Unis, on y retrouve forcément beaucoup de produits et de préparations d'origine mexicaine. Mais il existe pas mal de différences quand même, ce sont deux cuisines à part entière. Le chili con carne par exemple est un plat tex-mex et pas mexicain. De même, les tortillas mexicaines à base de maïs sont préparées à partir de blé aux Etats-Unis. Quant au Cheddar, un fromage anglais très présent dans la cuisine tex-mex, on ne l'utilise pas au Mexique.
Et vous, aimez-vous la cuisine tex-mex ?
Beaucoup oui. Bien que de nombreuses personnes la confondent, à tort, avec la gastronomie mexicaine, je sais apprécier la cuisine tex-mex. Mais attention, il faut qu'elle soit bien faite, comme au Texas. Le problème de la cuisine tex-mex en France, c'est que la plupart des restaurants ne sont vraiment pas bons. Ils rajoutent de la farine dans les sauces pour haricots, leur guacamole est préparé à base de poudre... Mais attention, certains restaurants mexicains ne sont pas bons non plus.
Votre cuisine utilise certains produits ou associations pour le moins exotique. Comment réagissent vos clients ?
Ils sont souvent surpris, car pour beaucoup s'attendent à du tex-mex et goûtent pour la première fois à la cuisine mexicaine. C'est vrai qu'associer de la viande et du chocolat par exemple, c'est une barrière pas toujours facile à franchir dans la tête des Français. Mais depuis que je suis chef à l'Anahuacalli, je n'ai connu qu'une seule personne qui n'ait pas aimé ma cuisine. Je trouve que c'est plutôt pas mal en 8 ans.
Et la cuisine française, vous aimez ?
Bien sûr ! D'ailleurs je la fais très bien, tout comme la japonaise ou la chinoise. Chez moi je mange très souvent des plats français. J'apprécie particulièrement un bon filet de boeuf avec de la moutarde et de la salade.
Comment vous est venu le goût de la cuisine ?
J'ai toujours aimé la cuisine. Quand j'étais petit, j'observais ma mère et mes tantes lorsqu'elles cuisinaient. Une fois que je suis devenu adolescent, c'est logiquement que je me suis tourné vers les métiers de l'hôtellerie. J'ai commencé à Acapulco, à l'hôtel Princess, où j'ai sympathisé avec le cuisinier. C'est lui qui m'a permis de passer chef de banquet.
Pourquoi vous êtes-vous installé en France ?
Par amour. C'était il y a 30 ans, j'étais étudiant et amoureux, c'était donc la bonne occasion de venir découvrir la France et d'apprendre la langue. A ce moment-là, un de mes amis qui possédait un restaurant en face du Palais Royal m'a rapidement demandé de venir travailler pour lui. C'était très sympa car l'un des gérants était français, l'autre mexicain, je préparais donc deux sortes de cuisine. Plus tard, j'ai travaillé dans un restaurant 100 % mexicain, et même dans un tex-mex - de qualité - pendant quelques temps.
Comment êtes-vous arrivé à l'Anahuacalli ?
Après plusieurs expériences plus ou moins heureuses, j'ai pris la décision de ne plus cuisiner. J'étais déçu par tous les à-côtés du métier que je ne maîtrisais pas. On avait beau me faire des propositions, j'étais décidé. Jusqu'à ce que Madame Prum, propriétaire de l'Anahuacalli, qui avait goûté ma cuisine auparavant, insiste tellement qu'elle finisse par me convaincre. J'ai donc accepté à condition d'avoir carte blanche. Je ne voulais surtout pas que l'on m'impose des plats ou des menus comme cela m'était déjà arrivé.
Des projets pour l'avenir ?
J'aimerais vraiment ouvrir un établissement en Espagne. Un restaurant dont je pourrais être le propriétaire, du côté de Barcelone si possible...
Propos
recueillis par David Alexandre
Restaurant
Anahuacalli
30 rue des Bernardins, 75005 Paris
Tél : 01 43 26 10 20
Fermé le midi, sauf le dimanche
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