Yves Camdeborde réalise un menu adapté de la filmographie de Maurice Pialat
Il a l’accent chantant qui nous rend tout de suite heureux et nous transporte dans son sud natal. A l’occasion du Festival de Cannes, Yves Camdeborde a accepté de relever le défi lancé par Nespresso : adapter un film primé à Cannes en un menu d’exception. A quelques minutes du premier service, nous rencontrons le chef qui supervise la préparation des plats en cuisine. Rencontre avec un chef passionné, passionnant et surtout, terriblement touchant.
Qu’est-ce qui vous a poussé à accepter ce challenge proposé par Nespresso ?
Yves Camdeborde : Je trouvais que l’idée d’appréhender notre métier sous un angle différent, en se basant sur un film était très bonne. J’ai tout de suite été conquis. Les défis tels que celui-ci nous changent de notre quotidien car la réflexion pour construire le menu est différente. On y apporte de la dérision et de l’humour.
Le choix d’interpréter le film Sous le soleil de Satan de Maurice Pialat s’est tout de suite imposé à vous ?
A vrai dire, le seul film primé à Cannes qui m’est venu à l’esprit était celui-ci. C’était pour moi une évidence de travailler sur ce film et c’était Sous le soleil de Satan ou rien. En plus, il me permet de m’amuser totalement avec le menu, de laisser libre court à mon imagination et de tourner en dérision la religion.
Pourquoi avoir absolument voulu travailler ce film de Pialat ?
J’ai reçu une éducation catholique : j’ai fait mon catéchisme, ma communion et j’ai été enfant de chœur… Quand ce film est sorti en 1987, il a fait grand bruit et pas seulement dans le monde catholique. Je suis allé le voir avec quelques amis et même si nous l’avions trouvé dur et violent, il faisait réfléchir. Avant ce film, on ne parlait pas de religion, c’était tabou. Maurice Pialat a eu le courage et l’audace de toucher à un sujet délicat et ça a permis d’ouvrir le débat, de réfléchir et d’avancer. En dehors de ça, je suis en admiration devant Gérard Depardieu qui dit ce qu’il pense et ose faire les choses, même si je n’adhère pas à tout ce qu’il dit.
Comme Pialat, vous aussi avez pris des risques dans votre carrière…
Tout à fait ! J’ai travaillé dans de très grandes maisons comme le Ritz, le Crillon, la Tour d’Argent, la Marée… Et un jour, en 1990, j’ai décidé de quitter ce monde de la haute gastronomie qui m’avait beaucoup appris certes, mais qui ne me correspondait pas. J’ai voulu lancer un établissement qui me ressemble davantage, qui soit un lieu de vie où l’on puisse rire et bien manger : c’est ainsi que la bistronomie est née. A l’époque, je me suis fait marginaliser et critiquer de toutes parts. Aujourd’hui, la bistronomie est un concept devenu mondial. Comme avec ce film, prendre des risques fait évoluer. Si j’avais proposé ce menu il y a 30 ans, il aurait été décrié et on m’aurait accusé de blasphème. La France d’aujourd’hui est ouverte d’esprit, ose et se permet de faire les choses. Le cinéma en est en grande partie responsable car les réalisateurs osent.
Comment avez-vous conçu le menu ?
Tous les plats ont été créés en référence à ma vie de jeune catholique. Ils racontent une histoire que je partage avec mes convives.
Est-ce que les plats créés pour cet événement pourraient être servis dans votre restaurant ?
Je ne me permettrai pas de servir le Corps et le Sang du Christ dans mon restaurant… Ils ont été élaborés dans l’optique de la soirée. En revanche, la poularde sauce diable et la religieuse y auraient leur place.
Ce soir, Sylvie et Antoine Pialat, la femme et le fils de Maurice Pialat, seront présents et découvriront votre menu. Vous avez la pression ?
Je suis extrêmement content que Sylvie et Antoine goûtent mon menu. J’ai eu la chance de rencontrer Sylvie Pialat qui est une personne que j’admire beaucoup et j’espère simplement ne pas les décevoir.
Êtes-vous cinéphile ?
Pas vraiment… Le dernier film que j’ai vu est La vie d’Adèle pour vous dire ! (rires)
Est-ce que vous pourriez revisiter une chanson ?
Je ne pourrai le faire que s’il s’agit d’une chanson que j’ai choisie, comme pour ce film. J’aurai opté pour la Bombe humaine ou Argent trop cher de Téléphone. Pour le premier, il s’agit de la bombe de la vie avec ses hauts et ses bas, je m’amuserais donc à créer un menu explosif… Pour Argent trop cher, ce serait un menu avec beaucoup de goût mais peu de produits.
Un événement du Festival de Cannes vous a marqué ?
Tout d’abord, la Palme de Pialat et son fameux " Si vous ne m’aimez pas, je peux vous dire que je ne vous aime pas non plus ". Puis, les marches. En 1978, je travaillais aux Mouscardins à Saint-Tropez et, pendant mon jour de repos, j’étais venu à Cannes pour regarder les personnalités monter les marches. Je n’aurai jamais imaginé le faire plus de 30 ans après ! Ce mercredi, j’ai enfilé mon smoking et je les ai montées. C’était magique, tellement beau et émouvant !
Qu’évoque Cannes pour vous ?
Cannes évoque les fleurs de courgettes, les asperges et les tomates de mon producteur de légumes Jean-Charles Orso qui se trouve à Cannes La Bocca. Quand on me parle de Cannes, je pense d’abord aux légumes et ensuite au festival.
Qu’est-ce qui ne vous met pas dans votre assiette ?
Ne pas recevoir mes produits le matin. Ça me rend malheureux.
Quelle est la cerise sur le gâteau ?
Manger dans un restaurant d’exception un plat d’exception avec la personne que j’aime. Dans la région, il faut absolument se rendre chez Christophe Dufau, aux Bacchanales. Il a une cuisine très marquée qui peut déplaire, mais il ose et ça, j’adore ! A Paris, je vous inviterai à la Pointe du Grouin tenu par Thierry Breton. On y mange autour d’un comptoir, dans une ambiance très festive et conviviale.
Un de vos plats qui a fait chou blanc ?
Il y en a eu… Quand on créé un plat en cuisine, on le trouve exceptionnel mais le client ne le comprend pas toujours. Il doit rester naturel car un plat trop technique laisse le goût de côté.
Haut comme trois pommes, est-ce que vous vouliez déjà être cuisinier ?
J’aurais adoré devenir joueur de rugby, j’en ai même fait jusqu’à mes 37 ans. Mais je n’étais pas assez compétent. L’ambiance, l’état d’esprit et le groupe me plaisaient mais une carrière aurait été impossible. Il m’a donc fallu trouver une autre voie. Si je n’avais pas été cuisinier, j’aurais opté pour un métier manuel comme maçon ou plombier.
Où serez-vous lorsque vous serez fripé comme une pomme reinette ?
Dans la Vallée d’Ossau, au bord du Gave, dans une petite maison devant un feu de cheminée, retiré de tout cet univers, de la pression… Il faut savoir laisser sa place aux jeunes qui sont particulièrement compétents ! Mon neveu qui m’accompagne en cuisine fera une grande carrière c’est sûr. Je mise aussi beaucoup sur Bertrand Grébaut, Inaki Aizpitarte et bien d’autres car ils ont plus d’ouverture d’esprit que nous, ils ont fait le tour du monde et ça se ressent dans leur cuisine.
Qu’est-ce qui vous fait monter la moutarde au nez ?
La malhonnêteté. Soyons humbles, soyons francs. Si on se trompe, on le dit.
Avez-vous pris le melon depuis le début de votre carrière ?
Je ne pense pas, en tout cas, je n’ai pas changé d’amis. Ce sont toujours les mêmes copains d’enfance qui m’accompagnent et je pense que c’est le rugby qui a fait qu’on soit restés soudés. On se soutient quoiqu’il arrive.
Quel plat ne vaut pas un radis ?
Celui que j’ai fait hier. Le plat que je ferai demain sera encore mieux.
Vous arrive-t-il de raconter des salades ?
Oui mais vinaigrées toujours (rires) ! On va dire qu’il m’arrive parfois de déformer légèrement la vérité.
Quelle recette n’est pas du gâteau ?
Le kouglof, je ne l’ai jamais réussi.
Qu’est-ce qui vous donne la pêche ?
Vous parler de mon métier, de ce que j’aime… J’en parle avec franchise et honnêteté.