Les Grandes Tables du Monde mettent à l'épreuve les Top Chefs
Pour cette sixième émission, les candidats devront être en salle et aux fourneaux. Installés dans l'ancienne demeure de la famille Rotschild, les aspirants Top Chefs devront dresser les tables sur lesquelles il serviront leurs assiettes gastronomiques. Leur dressage sera passé à la moulinette des membres des Grandes Tables du Monde. Serge Schaal, restaurateur à la Fourchette des Ducs et vice-président de cette prestigieuse association, nous en dresse le portrait.
Le Journal des Femmes.com : Que sont les Grandes Tables du Monde ?
Serge Schaal : Derrière cette appellation, il y a des restaurateurs regroupés en association. J'insiste sur le terme de "restaurateur" car il ne s'agit pas d'un regroupement de chefs mais bien de celui de l'ensemble des métiers qui composent un restaurant. Cela inclue donc le service, la salle, le décor, la sommellerie. L'association a été créée en 1954 sous l'impulsion de six amis restaurateurs qui partageaient la même vision de l'excellence. Elle s'est ensuite développée à l'international et regroupe aujourd'hui 172 grandes tables.
Comment se fait l'adhésion ?
Les restaurateurs qui en font partie sont déjà installés, ont une notoriété puisque de fait, pour postuler il faut au minimum avoir deux étoiles Michelin ou faire partie des meilleures tables dans les pays où le Guide rouge n'existe pas. La seconde condition est d'avoir été coopté par trois membres de l'association, ce qui signifie avoir été reconnu par un grand chef. Enfin, le vote du conseil d'administration est requis. Le but de l'association n'est donc pas de dénicher de jeunes pépites mais de "militer" et faire rayonner la grande gastronomie à travers le monde.
Quel est l'intérêt pour les restaurateurs d'y adhérer ?
Le prestige. L'entrée est difficile. Tous les deux étoiles ne peuvent y rentrer. On n'a pas le même positionnement que le guide Michelin qui ne se concentre que sur l'assiette. Les Grandes Tables du Monde sont plus que des assiettes de chefs. Elles doivent être un lieu d'expérience, une table où l'on vit un moment de plaisir grâce à une ambiance, un décor. Cela va au-delà de la cuisine.
Une expérience qui n'existerait pas sans l'ensemble des métiers de salle, ceux de commis, chef de rang, maître d'hôtel et de sommeliers...
En effet, si c'est le chef qui fait venir le client, c'est tout le travail fait en salle qui le fidélise. L'émotion passe par le personnel de salle. Un plat bien réalisé mais servi dans une atmosphère quelconque ou de manière robotisée ne provoquera pas la même émotion. La sensibilité des gens qui sont en salle contribue de manière importante à la réussite d'un repas. Ce ne sont pas de simples porteurs d'assiette : ils exercent un vrai métier qui nécessite des compétences importantes. Au-delà des compétences linguistiques, indispensables, les personnes de salle doivent faire preuve d'une grande psychologie pour comprendre les attentes différentes des clients. L'un voudra un service rythmé, quand l'autre appréciera de prendre son temps. C'est à nous de le comprendre et de le transmettre aux cuisines, déconnectées de la salle. Nous jouons un rôle d'intermédiaire, de tampon. Nous donnons le tempo et cela ne s'invente pas. Cela suppose de réelles compétences.
Qu'est-ce qu'un bon service ?
C'est celui qui ne se voit pas. Il n'y a rien de pire que des services sans âme, mécaniques, robotisés ou désorganisés qui donnent un sentiment d'oppression. C'est désagréable de se sentir observé ou lorsqu'on vous débarrasse trop tôt. Le bon service c'est celui qui est présent lorsque vous avez besoin de lui, qui est fluide, organisé sans que cela ne se ressente. Il faut aussi éviter de mettre le client mal à l'aise sous prétexte qu'il est dans une grande maison. A force d'y travailler 6 jours sur 7, nous perdons conscience de leur prestige. Or pour certains clients, c'est un moment exceptionnel. Ils ont mis le prix et c'est à nous de faire en sorte qu'ils ne soient pas mal à l'aise vis-à-vis de ça. Le bon service comment donc dès l'accueil pour les faire sentir comme chez eux.
Le chef cuisinier doit-il être présent en salle ?
C'est un plus pour le client mais personnellement, je préfère lorsque cela ne perturbe pas le service. Pendant le repas, je trouve que cela coupe le rythme et je n'aime pas l'idée que les clients se sentent "obligés" de parler. Je préfère un accueil des clients par le chef ou qu'il soit présent au moment de leur départ. Ces derniers s'expriment plus aisément. J'ai toujours la crainte que pendant le repas, ils se sentent stressés de ce passage très protocolaire.
L'épreuve de Top Chef est une belle mise en lumière pour les métiers de salle...
C'est une grande première pour nous et le retour est très positif. Les producteurs ont découvert que derrière les cuisiniers, il y avait tout un corps de métiers passionnants et qui méritent d'être mis en avant. Ils sont ravis de ce qui ressort de l'épreuve.
En quoi consiste-t-elle ?
Les candidats ont à disposition un office avec de la vaisselle, des verres, des objets de décoration, du nappage. Ils doivent dresser une table pour trois personnes. Or rien que dans le dressage, il y a des choses à apprendre : quelle assiette choisir ? Comment positionner les verres d'eau, ceux à vin ? Quelles sont les fleurs les plus appropriées et comment les positionner pour ne pas gêner la discussion ? Cela n'a rien d'évident encore moins sur une table de trois convives.
Qu'est-ce qui est rédhibitoire pour une table ?
Il n'y a pas de règles figées. L'essentiel est qu'elle soit harmonieuse. Il faut éviter les mix hasardeux. L'intermédiaire ne fonctionne pas. Si l'on sort du dressage classique, il faut l'assumer totalement. Au Plaza Athénée par exemple, il n'y a plus de nappage. Mais la table reste magnifique car faite de matière noble. Il y a une cohérence. C'est comme en décoration finalement : il faut que ce soit harmonieux et en adéquation avec la cuisine du chef. C'est pour cela que la communication est essentielle.
En quoi le service à la française se distingue-t-il des autres ?
Des services, il en existe partout. Ce qui fait la particularité du service à la française, c'est qu'on n'est pas obligé d'aller dans un grand restaurant pour le vivre. En tant que français, on a tous cette manière d'être par rapport au repas : celle qui consiste à manger une entrée, un plat ou un dessert, du moins lorsqu'on en a le temps. Globalement, on connaît tous les codes d'un repas typiquement français. Parce que c'est celui qu'on mangeait ou qu'on mange le dimanche en famille. Dans le service à la française, il y a aussi la notion du bien recevoir sans que cela passe nécessairement par l'argenterie. Ce qui compte c'est le partage.
Le service passe dès la réservation. Que pensez-vous des services de réservation en ligne ?
Je n'en suis pas fan car je trouve que l'échange téléphonique permet déjà d'avoir des informations sur les attentes des clients. Cela permet de préparer leur arrivée. Mais je comprends que certains soient plus à l'aise avec ce genre de réservation, c'est pourquoi nous avons un formulaire de réservation sur notre site internet.
Le 8 mars, le prix "Femme de chef... de l'année" sera décerné pour rendre hommage à des femmes "qui se donnent chaque jour dans leur Maison". Qu'en pensez-vous ?
C'est assez maladroit... Déjà parce qu'il y a aussi des femmes en cuisine et leur mari en salle. Et cela me fait un peu penser aux "fils et filles de". C'est comme si ces personnes n'existaient qu'à travers quelqu'un d'autre. C'est désobligeant car derrière ces femmes, il y a de grandes personnalités. Magali Sulpice par exemple est la sommelière dans le restaurant Jean Sulpice. Elle n'est pas que l'ombre de son mari. C'est dommage car cela ne met pas en avant nos métiers de salle...
En savoir plus : Les Grandes Tables du Monde