"Il faut savoir faire le point pour avancer dans la vie", les confidences de Jean Imbert

[INTERVIEW] Le chef Jean Imbert s'est rendu au Québec pour découvrir la région de la Gaspésie sans téléphone et sans ordinateur. Le but : se reconnecter avec la nature, s'évader et lâcher prise. De cette expérience est née une vidéo qui vante les mérites de ce territoire spectaculaire. Rencontre avec ce chef pour qui la nature est reine.

"Il faut savoir faire le point pour avancer dans la vie", les confidences de Jean Imbert
© Québec Original

Partir au bout du monde, sans programme, sans téléphone, sans ordinateur et lâcher prise... Un rêve pour certains, un cauchemar pour d'autres. Cette expérience, le chef Jean Imbert a accepté de la vivre à l'invitation de l'Alliance de l'industrie touristique du Québec. Pendant une semaine, le chef s'est rendu au Québec - en Gaspésie plus précisément - pour découvrir cette destination à la nature flamboyante. De ce voyage est née une vidéo, dans laquelle le chef au rythme de vie effréné se laisse porter pour découvrir des personnalités mémorables et un terroir riche et varié. C'est à Paris dans l'un de ses restaurants, que nous le rencontrons. Son voyage au Québec, son rapport aux réseaux sociaux, son parcours de chef... Jean Imbert s'est livré à nous sans filtres. Confidences.

Journal des Femmes : Pourquoi avoir accepté de participer à cette campagne "Lâcher prise" ?
Jean Imbert : L'envie de me mettre en danger et de partir sans téléphone aussi. Je ne l'aurais jamais fait tout seul mais c'est important de déconnecter. J'adore voyager et découvrir de nouvelles cultures. D'habitude, tout est extrêmement bien cadré. Là, je ne maîtrisais rien. Il fallait lâcher prise...

Justement, c'était le but de ce voyage. Comment l'avez-vous vécu ?
C'était déroutant mais ça fait du bien. Un matin, on m'a dit de me préparer pour aller au Rocher Percé. Il faisait froid mais on a dû enfiler des combinaisons. Ce n'est qu'au dernier moment qu'on m'a dit que c'était pour plonger au milieu des phoques. Je suis resté dans l'eau plus de quatre heures, c'était incroyable. D'ailleurs, en arrivant à Montréal, on m'a proposé un ceviche de phoque, je n'en ai pas pris (rires) !

Dans le film, vous dites ressentir "une énergie positive au Québec". Qu'entendez-vous par là ?
Dans notre quotidien, on est dépendant de choses qui n'existaient pas il y a encore 20 ans, comme le téléphone ou l'ordinateur. Là-bas, je me suis retrouvé sans rien, et d'un seul coup, les rapports humains m'ont donné une énergie positive. Les gens n'étaient pas gentils parce que je suis un chef français - la plupart ne me connaissaient même pas - mais parce que leur mentalité est très saine et bienveillante.

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Vous dites que ce voyage vous a permis de ne penser à rien…
Et quand on ne pense à rien, on pense à tout. Je pense que pour être bon dans la vie, il faut savoir se recentrer et faire le point. Ça m'a reboosté en quelque sorte. Ce sont des moments précieux dont il faut prendre soin.

Qu'est-ce qui vous a le plus marqué lors de votre séjour ?
A titre personnel, savoir déconnecter. Plus globalement, les rencontres et la convivialité. A la fin du film, on voit des images d'un repas lors duquel on avait réuni cinq producteurs de la région venus avec leurs familles, leurs amis… Au final, on s'est retrouvés avec une table de 20 personnes et moi aux fourneaux. J'avais la pression car ils avaient amené leurs produits, il fallait bien les traiter.

Avez-vous été surpris par certains produits ?
Certains oui... Les algues ne sont pas encore très développées en France par exemple. Ce producteur qui a mon âge enfile tous les jours sa combinaison pour aller en chercher, avant d'en faire des tartares qu'on mange accompagnés de petits toasts. Ces destins de passionnés d'un seul et même produit sont dingues. Le fait que cela se passe au bout du monde rend la chose encore plus forte. Il y a une réelle connexion de ces personnes avec la terre.

Un produit ou une recette qui vous a marqué ?
Les algues. Les huîtres aussi. La manière dont ils les pêchaient m'a plu. Les huîtres ne sont pas mises en bassin mais loin sous l'eau, ce qui leur donne une saveur très sauvage et iodée. J'ai accompagné l’ostréiculteur un jour pour les remonter au coucher de soleil. Il y avait des cannes à pêche sur le bateau et plein de maquereaux dans l'eau. On en a pêché, on les a levés et on les a mangés juste avec un filet de jus de citron. Il y avait une vraie connexion avec le produit dans le sens où on le respectait. Il n'a pas été pêché en Bretagne puis ramené à Paris en camion…

La vidéo montre un rituel de purification. Pouvez-vous m'en parler ?
J'ai rencontré les derniers descendants des indiens de Gaspésie. C'était une journée forte en émotions et un peu psychique. Ils m'ont chanté des chansons à la fin de la journée avant de me purifier. J'ai beaucoup appris à leurs côtés. A allumer un feu à partir de rien par exemple. A tresser un panier à base de racines et de lianes aussi. Cette famille fait encore ses paniers, se nourrit en autosuffisance, et vit dans les montagnes dans des tentes… C'est incroyable ! J'ai beaucoup de respect pour eux.

Votre compte Instagram est le reflet de votre quotidien : on y retrouve de la nourriture, des voyages, de belles rencontres… Vous comptabilisez plus de 307 000 abonnés, ce qui fait de vous l'un des chefs les plus suivis de France. Pourtant, vous êtes plutôt discret et pudique. Comment expliquez-vous cela ?
Je ne triche pas sur Instagram. Rien n'est organisé ou prémédité, c'est ma vraie vie. J'ai du mal avec la "fausse vie" et les hashtags… Il y a quelques jours, je dînais chez Kevin Systrom, le fondateur d'Instagram, et je lui confiais que je voulais que mon compte reste instantané. En revanche, pudique, je ne sais pas... Je partage la réalité sans communiquer pour autant sur ma vie privée. J'ai besoin de spontanéité car je suis comme ça dans la vie. C'est ce qui me donne de l'énergie positive. Les gens qui me suivent savent que je suis sincère en tout cas.

Une sincérité qui explique votre succès ?
Sûrement… Pour le premier anniversaire de l'Acajou, j'ai posté une Story qui a suscité plus de 1600 réponses en 30 minutes seulement. Au total, plus d'une personne sur deux qui me suit regarde mes Stories. Chez Instagram, on m'a dit que cela n'arrivait qu'avec les comptes suivis par plusieurs millions de personnes. Mes followers forment une vraie communauté. Ils ne m'ont pas suivi parce que j'avais le bon hashtag. Ils sont bienveillants et gentils, c'est authentique.

Vous considérez-vous comme un chef connecté ?
Non car je pourrais tout arrêter. Je l'ai déjà fait pendant 8 mois pour des raisons personnelles… Pour autant, je ne pourrais pas renier l'énergie créatrice que j'adore, qu'il y a dans la construction d'un projet comme en ce moment.

Vous avez fêté les 14 ans de l'Acajou. Depuis, vous avez lancé les Bols de Jean et publié un livre. Que retenez-vous de ces années ?
L'Acajou, c'est là où j'ai mangé pour la dernière fois avec ma grand-mère juste avant qu'elle parte, mais c'est aussi là où on rigolait avec Beyoncé en poêlant des légumes car elle voulait une recette vegan… Ce sont des contrastes dans la vie d'un restaurant qui vont de l'extrême intimité à l'extrême chose publique. J'ai rencontré la plupart des gens avec qui je travaille aujourd'hui via ce petit restaurant créé à Paris à l'âge de 22 ans. C'est dur de tenir un établissement pendant toutes ces années. Je suis fier d'avoir réussi et de continuer à entreprendre.

Vous partagez beaucoup d'images et vidéos de votre autre grand-mère en cuisine. Vous dites même "je lui dois beaucoup plus en cuisine que tous les chefs ou concours". C'est elle qui vous a donné l'envie de devenir chef ?
C'est ce que représentait la cuisine pour elle qui m'a donné envie d'en faire mon métier. Ma grand-mère a été seule très longtemps et, pour réunir les gens autour d'elle, elle est devenue cuisinière. Encore aujourd'hui à 92 ans, tous les midis, elle cuisine pour une vingtaine de personnes dans sa maison. Grâce à elle, je me suis rendu compte que cuisiner rendait les gens heureux et pouvait les réunir. Je n'ai pas l'impression de faire un métier. Me dire que je vais rendre les gens heureux me suffit.

Vous avez cuisiné avec Pharrell Williams, pour Beyoncé et Jay Z, Jennifer Lawrence, Marion Cotillard, ou encore l'équipe de France de football, et êtes surnommé le cuisinier des stars. Cela vous agace ?
Pas vraiment même si c'est faux. La star concentre 1% de mon temps de cuisinier mais elle concerne 90% des répercussions médiatiques. Je ne suis blasé de rien. C'est incroyable de se retrouver dans l'intimité ultime de ces personnes, sans filtres. Je ne m'en rends pas compte je pense… Je prends tout ce qu'il y a de positif, sans penser que c'est normal pour autant. Tout peut s'arrêter du jour au lendemain.

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Qu'est-ce que vous menez à la baguette ?
Le meilleur moment d'un cuisinier c'est la création, tandis que le plus agaçant, c'est celui où tu dois reproduire un plat. J'aime mener à la baguette le fait de reproduire à la perfection quelque chose que j'ai créé.

Un de vos plats qui a fait chou blanc ?
Un jour, j'ai raté 3 tartes Tatin de suite parce que je rigolais avec une amie à qui je donnais un cours de cuisine.

Pour vous, quelle est la cerise sur le gâteau ?
Cuisiner avec la personne que j'aime.

Ce qui ne vous met pas dans votre assiette ?
La nostalgie.

Une recette qui n'est pas du gâteau ?
Je suis incapable de refaire le baba au rhum de ma grand-mère.

Qu'est-ce qui vous donne la pêche ?
La créativité. Et quand on ne croit pas en moi, ça me rend meilleur.