Eugénie Brazier, la mère de la cuisine française
Première femme à obtenir trois étoiles au guide Michelin dans son restaurant lyonnais, Eugénie Brazier a marqué l'histoire culinaire avec ses recettes indémodables. Biographie d'une cheffe à part.
Dans la grande histoire des Mères Lyonnaises, ces pionnières de la gastronomie française qui ont marqué la capitale des Gaules autour des années 1920, une figure s'élève au-dessus de la marmite : Eugénie Brazier. Courageuse et travailleuse, elle a atteint l'excellence en décrochant six étoiles (deux fois trois étoiles) en 1933. Aujourd'hui encore, son empreinte culinaire reste très présente.
Biographie d'une femme d'exception
Née le 12 juin 1895 à La Tranclière, à côté de Bourg-en-Bresse, Eugénie Brazier a grandi au sein d'une famille de paysans bressans. "J'allais à l'école, par hasard, seulement l'hiver et lorsqu'il n'y avait pas de travail à la maison", explique celle qui, à la mort de sa mère à l'âge de 10 ans, fut placée dans une ferme par l'Assistance Publique. À 19 ans, après avoir donné naissance à un garçon, Gaston, qu'elle place en nourrice, elle est contrainte de devenir bonne à tout faire dans une riche famille lyonnaise. Chez les Millat, elle rencontre alors une vieille cuisinière qui lui transmet les bases de la cuisine traditionnelle.
Après deux années de pratique quotidienne, elle décide d'aller travailler dans un restaurant lyonnais, la Mère Fillioux. Ce dernière est, en quelque sorte, la mère des mères lyonnaises, celles qui sont à l'origine de l'identité gastronomique locale. La Première Guerre mondiale s'achève à peine et, "en ces temps-là, on volait son métier", comme le clame Eugénie Brazier. Avec travail et détermination, elle gagne la confiance de sa patronne en cuisinant à la perfection les grands classiques de la maison, et notamment la poularde demi-deuil.
Un parcours étoilé
Après un passage à la Brasserie du Dragon, la cuisinière s'émancipe et ouvre sa propre affaire. Elle s'installe alors dans une épicerie-buvette sans âge de la rue Royale et se forge une réputation qui ne cesse de grandir au fil des mois. Au menu de son premier service donné le dimanche 19 avril 1921 : langouste mayonnaise et pigeon aux petits pois et carottes. La suite n'est que reconnaissance : le célèbre critique Curnonsky loue la " perfection simple " du restaurant qui finit par s'agrandir. Au milieu des années 1920, la Mère Brazier est la table la plus courue de Lyon.
En 1928, la cheffe ouvre un deuxième établissement à 20 kilomètres de la ville, au Col de la Luère. Cette table intimiste reste ouverte durant la belle saison et les vacances. En 1932, le Guide Michelin accorde deux étoiles à chaque établissement puis trois l'année suivante. Après le passage de la Seconde Guerre mondiale, Gaston Brazier, son fils, prend la direction de la rue Royale tandis qu'Eugénie reste au Col de la Luère. En 1946, elle forme un certain Paul Bocuse, futur pape de la gastronomie moderne et d'autres grands futurs chefs qui seront marqués par l'énergie de la cheffe, son souci du détail et sa volonté de choisir des produits de qualité. En 1977, Eugénie décède d'un cancer, trois ans après la mort de son fils. Depuis 2008, Mathieu Viannay a repris le restaurant et fait vivre l'esprit de la Mère Brazier en cuisinant plusieurs recettes emblématiques de la cheffe.
Un livre culte
Dans le livre Les Secrets de la Mère Brazier, on apprend à mieux connaître l'état d'esprit de cette grande figure de notre patrimoine gastronomique. Ce recueil de recettes est une mine d'informations sur les bonnes façons de cuisiner, d'acheter, de cuire et même de faire de bonnes sauces. En onze chapitres, toutes les recettes servies dans son célèbre restaurant du Col de la Luère sont reproduites par Roger Garnier, qui a officié dans sa cuisine pendant plus de vingt ans. La préface est cosignée par Jacotte Brazier, petite fille de la cuisinière, et par Mathieu Viannay, le "successeur", qui possède aujourd'hui deux étoiles dans le restaurant de la rue Royale.
Notons également qu'une association baptisée Les amis d'Eugénie Brazier continue d'entretenir l'héritage de la cheffe. Sa vocation : promouvoir le parcours de jeunes femmes apprenties de cuisine et de salle, les guider et les soutenir dans l'univers encore très masculin de la cuisine.
Des recettes indémodables
Evoquer les recettes d'Eugénie Brazier, c'est parler d'une cuisine simple et intemporelle qui valorise les bons produits. Ses principales recettes cultes sont été apprises chez la Mère Filliou : le fond d'artichaut au foie gras, le gâteau de foie de volaille et de lapin, la langouste Belle Aurore, le gratin de macaronis ou encore l'incroyable volaille de Bresse demi-deuil et petits légumes.
Si on ne devait retenir qu'une recette, qui symbolise la cuisine des mères lyonnaises et la tradition des bouchons (nom des restaurants de la ville), ce serait la quenelle au gratin. Réalisée à base de chair de brochet cru, elle est accompagnée d'une sauce Nantua (béchamel, crème fraiche, têtes et carapaces d'écrevisses beurre). Près d'un siècle après l'avènement de cette femme d'exception aux six étoiles, ce plat continue d'être servi aux quatre coins de la ville lyonnaise. Indémodable, Eugénie Brazier…