Toc Toque Chef ! Chez Christophe Saintagne, chef du Papillon

Après des années dans de prestigieux établissement, le discret mais non moins talentueux Ducasse Boy a décidé de voler de ses propres ailes. Il nous a reçu au Papillon, son virevoltant restaurant.

Toc Toque Chef ! Chez Christophe Saintagne, chef du Papillon
© Pierre Moneta

C'est dans le chic XVIIe arrondissement que le Papillon a fait sa mue. Né de l'envie du chef Christophe Saintagne de se reconnecter au "mangeur", l'établissement a trouvé pignon sur rue Meissonnier à quelques pas du métro Wagram. Derrière une façade aux tons bleu profond et grandes baies vitrées s'ouvre une salle lumineuse et épurée à la déco un brin scandinave. Minute ! Ce Papillon ne mange pas de ce ver(re) là ! Les banquettes en cuir naturel de couleur Camel et les miroirs et les assiettes sans chichi sont là pour rappeler l'ambiance bistrot chic de l'établissement. A la carte, des assiettes audacieuses et de saison, parce que la cuisine c'est "avant tout de l'humain" nous confie-t-il posément, lorsque nous le rencontrons. Calme et à l'écoute, Christophe Saintagne semble avoir trouvé sa voie dans la liberté.  

"Toc Toque Chef ! Chez Christophe Saintagne"

Printemps oblige, le chef a réalisé une recette à base d'asperges. Préalablement blanchies, les grandes tiges sont poêlées quelques minutes pour conserver leur croquant. En guise d'accompagnement, Christophe Saintagne a mixé des pommes de terre, de la tapenade, des herbes. Un mélange savoureux qu'il dresse en quenelles pour accompagner les asperges préalablement gratinées au Comté. Puissant et plein de caractère, ce plat de saison est à l'image de Christophe Saintagne : gagnant. 

Restaurant Papillon © Pierre Monetta
Salle du restaurant Papillon © Pierre Monetta

Le JournalDesFemmes.com : Chef, parlez-vous de votre parcours…
Christophe Saintagne : Après mon apprentissage en Normandie, j'ai intégré la brigade de la très ancienne Auberge du Vieux Logis à Conteville. Pendant mon service militaire que j'ai fait dans les cuisines du Palais de l'Elysée, j'ai rencontré un cuisinier qui m'a présenté Alain Ducasse. Je l'ai rejoint au 59 Poincaré, l'ai ensuite suivi au Plaza Athénée puis ai ouvert avec lui le restaurant Aux Lyonnais, une institution du IIe arrondissement qu'il venait de racheter. En 2005, Jean-François Piège que j'avais rencontré au Plaza m'a proposé de le rejoindre Aux Ambassadeurs, le restaurant de l'hôtel le Crillon. Ce fut très formateur. J'ai retrouvé Alain Ducasse environ deux ans plus tard lorsqu'il m'a nommé chef exécutif de ses restaurants à travers le monde. En 2010, le chef Ducasse m'a proposé les rênes du Plaza Athénée pour réorienter le restaurant vers une cuisine plus simple. Après avoir pris la direction des cuisines du Meurice en 2014, j'ai eu envie d'avoir mon propre restaurant. C'est chose faite !

Pourquoi avoir eu envie de quitter l'univers palacier ?  
Le palace a beaucoup d'avantages : vous pouvez commander les meilleurs produits, vous avez beaucoup de personnel. Les conditions sont optimales. J'y ai beaucoup appris, mais je me sentais déconnecté du "mangeur". J'avais envie d'un resto de quartier, utile. Pas un établissement de fête, celui dans lequel vous venez exceptionnellement. Bien manger ne doit pas être quelque chose d'exceptionnel. Cela doit être quotidien.

Vous avez choisi le XVIIe, un arrondissement éloigné des quartiers branchés...
J'y vis donc c'est pratique et j'y ai tous mes repères. C'est l'arrondissement dans lequel j'ai atterri lorsque je me suis installé à Paris. J'aime ce quartier, sa population, que j'avais envie de surprendre avec un lieu simple, sans esbroufe. 

Est-ce pour cela que vous avez choisi "Papillon" plutôt que votre nom ?
Je voulais un nom que chacun puisse s'approprier. On a tous une représentation personnelle du papillon, qu'elle soit liée à la nature, la fragilité, la transformation. Il y a un clin d'œil au film de Steve McQueen aussi. Et la magie des choses fait que j'ai découvert après l'ouverture qu'il y avait un magasin sur le trottoir d'en face qui s'appelle "Chrysalide" ! 

Bien manger ne doit pas être exceptionnel 

Pas en face mais juste à côté de votre restaurant, il y a l'établissement de votre épouse, le Garde Manger
Laura est aussi cuisinière et avait envie de proposer aux habitants du quartier de manger des choses saines. Une alternative aux sushis ou à la pizza qu'on commande le soir parce qu'on n'a pas le temps, ni l'envie de faire des courses. Elle a adapté son lieu en fonction des horaires des travailleurs. Le Garde Manger est ouvert du lundi au vendredi de 9h à 14h et 17h à 23h et propose des plats du quotidien avec des produits frais et sélectionnés avec soin.  

Qui sont vos fournisseurs ?
Nous travaillons à 95 % en direct avec les producteurs. Quand on veut des pigeons, on appelle la Maison Cassard à Pornic, quand on veut des légumes, on passe par notre maraîcher. Pour le poisson, on a quelqu'un qui l'achète directement à la Criée à Saint-Malo. Papillon pose aussi la question de ce qu'est un restaurant, à savoir un lieu où l'humain est au cœur de la machine.  

Alain Ducasse et Jean-François Piège sont-ils venus ?  
Alain Ducasse était là au premier service. Il est venu me voir en cuisine pour me demander si j'étais en place. Je lui ai dit qu'avec toutes les ouvertures que j'avais faites, il n'y avait pas de raison. Ça l'a fait rire. Jean-François Piège est venu la première semaine. Ils sont très "supporters" mais leur avis n'est pas très objectif. Il y a trop d'affect. Mais je suis content qu'ils me soutiennent et j'apprécie notre relation.

Quel est le plus beau compliment qu'un client vous ait fait ?
Un simple "merci" ou "c'était bon" me suffisent. Je suis satisfait aussi lorsque les clients me disent qu'ils ont osé goûter un produit qu'ils n'apprécient pas. J'aime bien que la nourriture parle au corps plus qu'à l'esprit. C'est ce que j'essaie de développer dans mon restaurant.

La simplicité vous l'avez mise à votre carte aussi...
En tant que client, je n'aime pas qu'on m'impose les choses. Quand je rentre dans un restaurant et que tout est écrit, dit, je ne me sens pas investi. Et j'avais envie d'investir le mangeur. Je ne voulais pas qu'il subisse la dégustation.

Il ne subit pas le service non plus. Il paraît que vos serveurs n'ont pas le droit de dire "bonne continuation"...
Je leur demande de ne pas avoir de tics. Ils ont une trame, une caisse à outils dans laquelle ils piochent selon l'impulsion donnée par le client. Ils doivent s'adapter. Ils peuvent ne rien dire du tout, ce qui me paraît le plus approprié. Au risque de paraître provocateur, la finalité d'un restaurant n'est quasiment jamais la nourriture, sauf pour les personnes qui viennent seules, mais elles représentent un infime pourcentage. Les clients d'un restaurant sont souvent dans un échange plus ou moins intime : il y a ceux qui viennent discuter d'un contrat, il y a des groupes d'amis. Le serveur doit s'adapter. Imaginez un couple venu pour une demande en mariage : on ne va pas couper un "est-ce que tu veux m'épouser" par "le chef vous propose le cabillaud" !

Christophe Saintagne et son équipe © Pierre Monetta

Chez qui aimez-vous aller ?   
Je n'aime pas trop le restaurant. Je préfère manger chez un particulier. La sincérité y est inégalable. Quand je vais dans un restaurant, j'aime bien retrouver cet esprit. Je trouve que le Verre Volé dans le Xe et Le Baratin dans le XXe dégagent une sincérité. On est connecté à la cuisine.

Dans une tribune publiée dans le Télégramme Brest dimanche, Christian Le Squer a expliqué pourquoi il pensait que la télévision allait sauver les chefs. Un point de vue que vous partagez ? 
J'essaie d'avoir du recul par rapport à la télévision. Il y a un côté assez vicieux. Ce que je crains c'est que les téléspectateurs qui regardent les émissions culinaires le fassent en mangeant des plats réchauffés. Je la trouve assez réductrice aussi. La télé c'est de l'image, le jugement d'un plat se fait uniquement par l'esthétique. J'ai le sentiment qu'on perd la notion fondamentale de goût. J'aimerais bien que la télé parle de toute la nourriture. La cuisine ce n'est pas qu'un cuisinier, ce sont aussi des produits qui ont été cultivés, faits par des hommes. Ce qui me dérange avec les émissions culinaires, c'est la dimension de divertissement. 

S'y rendre : Restaurant Papillon, 8 rue Meissonnier 75017 Paris, Ouvert du lundi au vendredi aux déjeuner et dîner de 12h à 14h30 et 19h à 22h30