Les confessions d'Anne-Sophie Pic sur Tous au restaurant

La cuisinière triplement étoilée sera de la huitième édition de Tous au restaurant. Rien d'étonnant pour cette dame de cœur dont le partage et la transmission sont les maîtres-mots. Elle nous parle de sa participation à l'événement et de passion pour son métier.

Les confessions d'Anne-Sophie Pic sur Tous au restaurant
© Jean-François Malet

Issue de trois générations de chefs, Anne-Sophie Pic avait toutes les cartes en main pour réussir. De cet héritage, elle s'éloigne pourtant : plutôt qu'une école hôtelière, la jeune femme suit une prépa HEC, se lance dans des études à l'ISG puis s'envole pour les Etats-Unis et le Japon. Le déclic se fait après un stage chez Moët & Chandon où elle découvre une histoire artisanale et familiale qui la fascine. Consciente de son trésor personnel, Anne-Sophie Pic rejoint l'établissement familial. Le décès brutal de son père la propulse aux fourneaux où elle encaisse le fait d'être la "fille du patron" et une femme. Autodidacte, solide et audacieuse, la chef en devenir révolutionne la cuisine paternelle, non pour la "tuer" mais pour la moderniser, sans tabou ni formatage. Une liberté qui la hisse jusqu'aux trois étoiles. Depuis Anne-Sophie Pic brille, sans strass ni paillettes. Du 18 septembre au 1er octobre, son restaurant André fera parti des établissements de l'opération Tous au restaurant. Avis aux amateurs de bonne carte. 

Le Journal des Femmes : Ce n'est pas votre première participation à Tous au restaurant. Qu'est-ce qui vous séduit dans cet événement ?
Anne-Sophie Pic : La possibilité de démocratiser l'accès au restaurant. C'est mon restaurant André qui participe à l'événement. C'est un restaurant de mémoire, dans lequel je raconte l'histoire familiale à travers des plats de mon père et de mon grand-père.

Démocratiser la gastronomie : est-ce une entreprise difficile, dans l'ajustement des prix par exemple ?
Cela dépend de ce qu'on entend par gastronomie. Pour moi c'est lié à la notion de plaisir et de commensalité. On peut cuisiner des produits très simples et les sublimer en les associant à des épices ou plantes aromatiques particulières.

Y'aura-t-il un menu spécial ? 
Oui bien entendu ! J'imagine un menu festif qui mette à l'honneur quelques classiques de la cuisine française.

Quel type de clientèle vient à l'occasion de Tous au restaurant ?
Nous accueillons à la fois des personnes qui vont peu au restaurant et des habitués, mais toujours des passionnés qui sont heureux d'être là pour vivre un joli moment.

Qui serait votre invité si vous participiez à Tous au restaurant ?
Mon mari.

Dans quel restaurant l'inviteriez-vous ?
Permettez que je préserve la surprise...

C'est quoi un dîner au restaurant réussi pour vous ?
Un moment de partage avec des gens qu'on aime, une expérience globale qui fait appel à tous les sens, des émotions, des souvenirs.

Quelle est votre vision de la cuisine gastronomique ?
Elle est en permanente recomposition, elle est en mouvement. Je trouve la cuisine française très créative et je me réjouis de la diversité de ses expressions sur notre territoire.

Qu'est-ce qui vous nourrit au quotidien ?
Les rencontres avec des produits et des producteurs, des univers créatifs différents du mien.

Avez-vous le sentiment que les palais des clients ont-ils évolué ?
J'ai le sentiment que l'alimentation est devenu un sujet sociétal presque philosophique. Le palais comme le goût évoluent au fil des ans. Il y a une tendance de fond vers le végétal, vers la notion de bien-être qui peut être associée à ce que nous mangeons.

Sentez-vous souffler la volonté d'un mieux manger ?
Je sens renaître l'idée de "nous sommes ce que nous mangeons", d'une conscience plus aigue du monde qui nous entoure et du rôle de l'alimentation dans notre bien-être au quotidien et sur le long terme.

Et d'un mieux consommer, plus local, locavore ?
Oui également. Le rapport à la nature, au terroir, la volonté de transparence, de traçabilité, de connaître le produit qu'on mange.

Les régimes veggie et vegan prennent de plus en plus d'ampleur. Y êtes-vous sensibles ?
Je suis sensible à la flexibilité que nous allons devoir apporter à notre alimentation dans les prochaines années : plus de végétal, moins de protéines animales. Mais tout est question d'équilibre et de nuance. 

Que pensez-vous de la digitalisation de la gastronomie ? L'influence des "instagrameurs" notamment.
Je pense que c'est positif car cela donne à voir la diversité et la richesse de la gastronomie.

Selon vous, quels sont les défis pour les restaurateurs dans les années à venir ?
Faire de l'expérience dans leur restaurant un moment d'émotion qui reste gravé dans les mémoires.

Vous êtes à la tête de nombreux établissements, en France et à l'étranger. A quoi ressemble une journée pour vous, Anne-Sophie Pic ?
Elle commence tôt et se finit tard. Quand j'arrive au restaurant, je passe voir mes équipes en premier lieu. Puis les rendez-vous et les services s’enchaînent. Et aussi les moments de création. Ma cuisine d'essai (où je crée tous mes plats) est un lieu de rencontres et d'échanges.

Avez-vous soif d'autres projets ?
Je suis d'une curiosité insatiable. Chaque nouveau projet est un défi créatif que j'ai plaisir à relever. 

Vous avez récemment pris les commandes du restaurant du Four Seasons à Londres. L'approche des anglais vis-à-vis de leur gastronomie est-elle différente ?
Je crois qu'elle est plus décomplexée et multiculturelle. C'est toujours un défi d'ouvrir un restaurant à l'étranger. Il faut beaucoup d'humilité et d'écoute. Mon envie est de mettre mon identité culinaire au service des produits du terroir britannique.

Sentez-vous une différence dans les palais ?
Il y a toujours des différences culturelles de goût liées à l'histoire culinaire du pays. Mais Londres est un lieu cosmopolite et les Anglais sont très ouverts.

Dans une interview au Monde de janvier 2017, vous avez dit "vous battre depuis des années pour qu'on ne voie plus le métier de cuisinier comme un métier de machos vulgaires". Avez-vous le sentiment qu'il y a un mieux ? 
Oui mais il y a encore du chemin à parcourir. Notamment dans la reconnaissance des femmes.

Dans cette même interview, vous avez dit que "vous n'étiez pas un chef sur un piédestal" et que vous "n'étiez que des cuisiniers". Comment parvenez-vous à rester aussi humble et modeste ? 
Je n'oublie pas d'où je viens et l'éducation que j'ai reçue. Et mon métier m'y aide beaucoup. Etre cuisinier c'est apprendre l'humilité, rien n'est jamais acquis, à chaque service, vous devez vous surpasser. Et c'est aussi un métier de générosité. Un métier passionnant.