"Jusqu'à mes 30 ans, je n'avais rien" confie Cédric Grolet
Il fait rêver les gourmets du monde entier avec ses fruits - véritables oeuvres d'art et de gourmandise -, ses pâtisseries aussi belles que savoureuses et sa générosité hors pair. C'est en plein coeur du Meurice, le palace parisien dans lequel il excelle en tant que chef pâtissier, que nous avons rencontré Cédric Grolet. L'occasion de revenir sur son parcours hors normes.
"Les mots que vous me dites, ce sont des challenges qui se sont imposés à moi, destinés à encore prouver que j'étais un bon pâtissier et que je devais passer ces étapes" nous confie Cédric Grolet. Il faut dire que derrière le chef pâtissier du Meurice aux 1,1 millions d'abonnés sur Instagram, se cache un homme passionné. Devenu en quelques années l'une des figures incontournables de la pâtisserie, Cédric Grolet fourmille de projets. S'il compte sortir un nouveau livre en 2019, ouvrir une pâtisserie "hors Meurice" à l'étranger et surtout, prendre du temps pour lui, Cédric Grolet n'oublie pas le principal : "faire tourner le Meurice".
C'est d'ailleurs dans le palace parisien que nous le rencontrons. Pendant plus d'une heure, Cédric Grolet s'est confié à nous sur son parcours souvent semé d'embûches. Confidences.
Journal des Femmes : Si je vous dis... Praisles ?
Cédric Grolet : Personne ne connaît Praisles, c'est drôle que vous m'en parliez. C'est le village de mon enfance, j'y suis resté jusqu'à l'âge de 16 ans, quand je suis parti de chez mes parents. L'hiver, on y fait de la luge tandis que l'été, on se baigne dans les ruisseaux et on fait du vélo. On jouait avec un rien : on montait dans les arbres, on jouait aux billes... C'était une vie très simple.
Pâtisserie ?
J'ai toujours dit à mes parents que plus tard, je voulais faire des gâteaux. Je ne le voyais pas comme un métier. Ce que je fais m'amuse et me permet d'être en perpétuelle création. Avec le recul, d'autres métiers auraient pu me faire rêver mais celui de pâtissier était une évidence. Je travaille énormément sans avoir l'impression de travailler, c'est génial !
Votre première pâtisserie ?
Je faisais des brioches et des croissants mais le fraisier était mon premier dessert. J'ai travaillé très tôt pour avoir de l'argent de poche. L'été, je ramassais des fruits rouges et, un jour, l'agriculteur m'a offert un cageot de fraises. J'ai donc préparé un fraisier pour mes parents. C'est le premier contact que j'ai eu avec la pâtisserie. Je devrais le refaire d'ailleurs, en clin d'oeil à mon enfance.
Dominique Alibert et Pascal Liotier ?
Pendant mon CAP, je suis entré en apprentissage chez Dominique Alibert. C'était la première personne qui m'apprenait le métier. Il avait une pâtisserie/point chaud et je m'occupais des viennoiseries, des flans, des tartes... Je voulais faire un Brevet Technique des Métiers par la suite, il fallait donc que j'aille dans une vraie pâtisserie. C'est là que j'ai rencontré Pascal Liotier à Yssingeaux. Il a fait de moi celui que je suis aujourd'hui : celui qui aime les challenges et cherche constamment à se surpasser. C'est lui qui m'a poussé à faire des concours, ce qui m'agaçait.
Concours... et déceptions ?
J'en ai réussi beaucoup dès le début et, je pense que dès que tu réussis, tu te dis que tu es le meilleur. Je me suis pris une grosse gifle lors du Prix Charles Proust. Je suis arrivé confiant sauf que j'ai loupé mon entremets et mis le feu aux rideaux. Je pensais que ma carrière de pâtissier était finie, mais cela m'a permis de me remettre en question.
Fauchon ?
Les débuts coïncidaient avec mon arrivée à Paris : il faut imaginer un garçon qui n'avait jamais quitté son village natal débarquer à Paris. C'était un choc ! On m'a confié des postes extrêmement durs. Pendant deux ans, j'ai fait des macarons. Ça m'a tellement dégoûté que je n'en ferais plus jamais ! Je me disais qu'ils ne percevaient pas mon potentiel et que je devais partir. Ils m'ont retenu en me proposant la boulangerie. J'ai tenu un an, mais c'est grâce à ça que ma carrière a décollé. Ils m'ont envoyé à Pékin et il s'avère que Christophe Adam et Benoît Couvrand étaient sur les lieux. Ils m'ont très vite proposé le poste de recherche et développement. Ce poste, c'est celui que tous les pâtissiers convoitaient... et ils me l'ont confié alors que je n'avais jamais fait un seul gâteau chez Fauchon.
Yannick Alléno ?
Il m'a fait extrêmement peur quand je suis arrivé au Meurice en 2011. C'est quelqu'un d'extraordinaire, avec une approche de la cuisine dingue. Il a été très dur avec moi même si je pense que j'étais son chouchou ici. Il était intransigeant sur la cuisine et l'excellence. Il ne loupait rien, il voyait tout ce que je faisais. J'admirais son savoir et son approche envers la cuisine et ses équipes.
Alain Ducasse ?
Alain Ducasse, c'est Yannick Alléno puissance 10. Il a été à la fois la plus grosse richesse et la plus grosse difficulté rencontrée dans mon parcours. Quand il est arrivé au Meurice, il a amené un chef pâtissier avec lui et tous mes desserts sont sortis de la carte. C'était très difficile pour mes équipes et moi-même, mais toutes les difficultés surmontées avant m'ont aidé. Tant que je ne franchissais pas cette étape, je ne pouvais pas partir. Je voulais prouver à mes équipes, au Meurice et à moi-même, que j'étais au niveau de Ducasse et que, malgré mes 28 ans, j'avais un potentiel. Ça a fonctionné ! Aujourd'hui, on est égaux et on avance ensemble. Je n'ai plus rien à lui prouver. Tout ce qui a trait à la pâtisserie passe par moi et Ducasse ne goûte que quand il est de passage. Les brefs instants qu'on passe ensemble sont intenses : en quelques mots, il réussit à me donner un déclic que d'autres me donneraient en trois mois. Ses mots sont précieux, il faut les assimiler, les décoder et en tirer le meilleur. Je pense que les personnes qui arrivent à le comprendre réussissent.
La noisette ?
Sa couleur, sa forme de goutte, son côté discret, doré et théorique ont marqué les esprits. J'ai très vite compris son potentiel. Elle était très souvent à la carte et la saison a fait qu'elle ait disparu naturellement, ce qui n'a pas plu aux clients. C'est mon gâteau phare, mais je me suis tout de même remis en question en sortant une version 2.0. Je voulais montrer aux clients que je ne restais pas sur mes acquis et qu'essayer de faire encore mieux ne me faisait pas peur. Et j'ai eu beaucoup de retours positifs ! Je réfléchis donc à une version 2.0 pour tous mes fruits. On me demande souvent ce que je vais faire après mes fruits, mais il y a beaucoup de choses à faire encore avec eux. La noisette, c'est mon adrénaline : elle me permet d'être créatif et montrer que j'ai encore plein de choses à prouver.
Les copies : flatteur ou agaçant ?
Les deux. C'est embêtant car on peut retrouver mes desserts dans le monde entier, mais c'était aussi mon objectif. J'ai toujours dit que je voulais devenir un influant de la pâtisserie. Il y a quelques années, ça nous agaçait Yohann et moi de voir nos créations copiées. Mais je me dis que si nous sommes autant copiés, c'est que les gens aimeraient faire ce qu'on fait à notre place. Aujourd'hui, je remercie ces personnes et n'oublie pas l'adage "copier n'est jamais égaler". Représenter un physique et un goût n'a rien à voir. J'essaie donc de me concentrer davantage sur le goût aujourd'hui.
Yohann Caron ?
Yohann, c'est la personne la plus importante à mes yeux, aussi bien professionnellement qu'amicalement. Quand j'ai commencé au Meurice, j'étais le second de Camille Lesecq. En devenant chef pâtissier, mes piliers étaient Maxime Frédéric et Jimmy Boulay, mais ils n'allaient pas rester éternellement. Je devais former d'autres personnes. Quand j'ai recruté Yohann, c'était l'entretien le plus court de ma vie : il venait pour un poste de commis, je l'ai pris en tant que demi-chef de partie. Depuis son arrivée, j'ai beaucoup appris à ses côtés, et vice versa. Je lui fais une confiance aveugle. J'ai beaucoup voyagé en 2018 et à aucun moment il n'a essayé de prendre ma place. Ma réussite est due en grande partie à lui. Il ne travaille pas pour moi, on travaille ensemble, nuance. J'essaie de le mettre en avant sur les réseaux sociaux car il le mérite vraiment.
Nicolas Paciello, Maxime Frédéric... ?
Pour être honnête, tous les chefs pâtissiers actuels m'aident à être celui que je suis aujourd'hui. Plus ils sont bons, plus j'ai envie d'être aussi voire meilleur qu'eux. On se construit mutuellement. Je suis à la fois admiratif et jaloux de leur talent, mais content de leur réussite. Cette "jalousie" me permet de me dépasser.
Prix et reconnaissances ?
Le premier prix que j'ai reçu était celui du magazine Le Chef en 2015. Une de mes plus belles victoires. D'autres ont suivi et mes amis me rappelaient de ne pas oublier d'où je venais. D'ailleurs, à chaque fois que je vois Alain Ducasse, il me lance avant même de me saluer, "T'as toujours pas pris la grosse tête !". Preuve que je suis resté le même. Les titres, c'est un bonheur, une fierté, un challenge, mais je pense aux prochains. C'est dommage qu'on ne puisse les avoir qu'une fois. Ça me permettrait de me battre encore plus !
Instagram ?
Il y a encore quatre ans, je ne connaissais pas Instagram. C'est Jessica, une amie libanaise qui travaillait à l'époque en cuisine, qui m'a dit que je devais faire connaître mes créations dans le monde entier. Un jour, elle a pris mon téléphone, installé l'application et créé mon tout premier post. C'était la pomme d'amour, suivie du Rubik's cake. En quelques minutes, les likes abondaient. C'était fou ! Elle m'a tout expliqué et j'ai commencé à poster. Quelques semaines ont suffit à prendre des milliers de followers. Je n'en revenais pas de l'influence que je pouvais avoir sur ces gens. La bibliothèque d'Instagram me plaît énormément et aujourd'hui, chaque post est réfléchi. Ce réseau me permet d'exprimer ma pâtisserie dans le monde entier, sans mots.
Masterclass ?
J'hésitais entre ouvrir une boutique ou faire des masterclass. Pierre Hermé, Christophe Michalak et Christophe Adam - mes trois mentors - ont pris le temps d'ouvrir leur propre boutique et je pense que c'est pour une raison. J'ai donc préféré attendre. Les masterclass me permettent à la fois de donner aux gens et d'apprendre en étant ouvert à la critique. C'était une prise de risque aussi car je savais que mes créations seraient reprises dans le monde entier. Il faut savoir que ce sont des challenges car tu n'as ni les mêmes équipes, ni les mêmes équipements et encore moins les mêmes conditions de travail. Il y a des problèmes à chaque fois, et tu dois les résoudre rapidement. C'est stimulant !
Confiture ?
Confiture Parisienne m'avait proposé de lancer il y a quelques temps une pâte à tartiner maison, mais je souhaitais conserver le côté prestigieux de mes pâtisseries. Après réflexion, je me suis dit que la noisette - qui est la pâtisserie qui se vend le plus - était tellement longue et compliquée à préparer que, pour Noël, je la déclinerais en pâte à tartiner avec un caramel et un praliné que le client peut mélanger pour créer sa propre texture. C'est une confiture éphémère. J'en ferais quatre pour représenter les saisons, mais pas plus.
Tatouages ?
Il faut savoir que je n'aimais ni les tatouages ni les personnes tatouées ! Le tout premier, c'était en 2011 avec Nicolas Paciello. On était chez Fauchon et comme nos routes se séparaient bientôt - il devenait sous-chef au Crillon, et moi au Meurice -, il fallait marquer ça. On s'est donc tatoués le smiley qu'on faisait tous les deux pour signer nos consignes. J'ai eu tellement mal que pendant cinq ans, je n'ai rien fait d'autre. Puis est arrivée l'année 2018 qui a été très importante pour moi. J'avais envie d'emporter tout ce que je vivais chez moi. J'ai donc commencé par tatouer sur ma cuisse des phrases philosophiques sur ma vie, dans chaque langue des pays visités. Depuis, je me suis fait un avion et le symbole "égal" sur mes doigts, il y a eu mon bras... Je ne regrette rien et j'ai même envie d'en faire d'autres !
Quelle est votre madeleine de Proust ?
La crème brûlée qu'on casse avec le caramel un peu amer, les grains de vanille qui croustillent sous la dent... Les oeufs à la neige aussi... Il faut que je travaille dessus d'ailleurs pour les mettre à la carte !
Qu'est-ce qui ne vous met pas dans votre assiette ?
Me lever trop tôt le matin. Plus je vieillis et plus ça devient dur. Depuis mes 14 ans, je travaille de 22 heures à 3 heures du matin. Depuis que je suis au Meurice, c'est l'inverse : je commence à 9 heures et termine à 2 heures du matin. Je suis complètement décalé et j'en souffre beaucoup.
Quelle est la cerise sur le gâteau ?
Être avec mes amis, autour d'une bonne table, dans la nature, avec un bon barbecue, une grande salade, une canne à pêche et un grand soleil.
Qu'est-ce qui n'est pas du gâteau ?
Les gens méchants, qui mettent des bâtons dans les roues. La meilleure solution est l'ignorance mais c'est parfois difficile.
Une recette qui a fait chou blanc ?
La pizza chocolat-truffes. Ma plus belle création je trouve, mais je pense qu'elle est arrivée trop tôt. Les clients ne la comprenaient tellement pas que je l'ai enlevée de la carte au bout d'une semaine.
Qu'est-ce que vous menez à la baguette ?
Le management. Mon objectif, c'est que mes collaborateurs se sentent bien et restent le plus longtemps possible, et, même s'ils partent, que l'on reste en bons termes.
Qu'est-ce qui vous donne la pêche ?
Le sourire d'un client. J'ai accordé une interview début janvier à une petite fille de 8 ans qui m'écrit depuis des mois sur les réseaux. Elle voulait faire un exposé sur moi pour son école. Elle me regardait avec de grands yeux alors que je ne suis que pâtissier. J'ai l'impression de faire rêver les enfants ! Ça, ça vaut tout l'or du monde.
La question qu'on ne vous a jamais posée ?
On me demande rarement si je suis heureux. Avant d'être chef, je suis Cédric et, quand je rentre chez moi le soir, je réalise que j'ai beaucoup de chance. Je vis de ma passion et j'ai la chance de représenter la pâtisserie à mon âge, mais je n'oublie pas que jusqu'à mes trente ans, je n'avais rien. Petit, je rêvais d'avoir une paire d'Adidas et aujourd'hui, j'en ai des dizaines ! Ma vie est au-dessus de ma façon de voir les choses. D'ailleurs, je fais attention à ce que je dis et montre à ma famille pour les protéger. Ils sont choqués de voir l'influence que j'ai... Il y a quelques jours, je postais une photo de moi devant un jet et les commentaires ont été très durs car je ne suis que pâtissier, je ne devrais pas... Personne ne critique un footballeur pour ça. Il faut montrer aux jeunes qu'à force de travail, tout est possible. Ça a été difficile d'en arriver là. J'ai privilégié ma carrière avant tout - même avant moi -, mais je ne le regrette pas. Mon père travaillait beaucoup pour nous élever, sauf qu'on ne le voyait que rarement. Le jour où j'aurais des enfants, je pourrais profiter d'eux car j'aurais assuré mes arrières. C'est un choix de vie que je ne regrette pas.