Pierre Marcolini, fort en cacao "La pénurie de cacao, c'est une intox"

Le JournalDesFemmes.com : Pourquoi avoir choisi de travailler le chocolat ?
Pierre Marcolini : Comme pour la pâtisserie, c'est l'idée de gourmandise ! L'auto dérision belge me fait dire, quand on me pose la question : "lorsque vous mangez trois desserts à 14 ans et que cela risque de vous coûter une fortune plus tard, mieux vaut en faire son métier" ! Le chocolat a un côté magistral : il a un langage, c'est une valeur universelle. Partir de la fève, apprivoiser le broyage, fabriquer et travailler son propre chocolat est une grande fierté, là où une grande majorité de la profession ne fait que travailler le chocolat. Cela fait dix ans que je fais ça : je me déplace au Brésil et au Mexique pour discuter avec les planteurs, découvrir l'histoire des cacaotiers anciens et des différents type de fèves. C'est passionnant.

"Le chocolat a un côté magistral [...] C'est une valeur universelle"

Qu'est-ce qu'un bon chocolat selon vous ?
Un chocolat obtenu avec de bonnes fèves, qui a une "signature", c'est à dire qui a de la personnalité. Je souhaite que l'on me dise, en goûtant mon chocolat : "ça, c'est du Marco !". C'est le même principe que lorsque vous buvez un bon vin. Il est signé, et c'est ce qui le distingue des autres. Pour le chocolat, ça doit être la même chose.

"Les planteurs ne sont pas rémunérés comme ils devraient l'être"

Le Wall Street Journal a "affolé" la presse en annonçant une pénurie de chocolat : info ou intox ?
Intox qui consiste à effrayer les consommateurs en leur faisant croire que la pénurie serait liée à la détérioration des conditions climatiques. Le thé et le café ne souffrent pas, alors pourquoi le cacao ? En tout cas, scientifiquement, rien ne le prouve. Selon moi, le vrai problème se situe à plusieurs niveaux. Un, du côté des producteurs. Aujourd'hui, on paie en moyenne 2500 $ la tonne de cacao. Selon une étude de l'OMC (Organisation Mondiale du Commerce), pour que les planteurs puissent vivre, cultiver entretenir et produire convenablement, le prix à la tonne devrait coûter minimum 3500 $. Les producteurs ne sont donc pas payés au prix juste. D'où une véritable menace de pénurie à leur niveau. A titre de comparaison : qui voudrait devenir vigneron si le fruit d'une récolte ne permet pas de vivre décemment ? Personne. Ensuite, il y a l'influence des industriels. Pour augmenter la productivité sous couvert de risques de pénurie, les cacaoyers sont remplacés par les CCN-51 (une forme de cacaoyer hybride, ndlr). Le planteur n'est pas mieux payé, mais on lui explique qu'il peut produire deux fois plus, avec des cacaoyers qui poussent en 18 mois, contre 4 à 5 ans pour des cacaoyers normaux. En d'autres termes, on fait passer insidieusement le CCN-51 comme une solution alors que ce cacaoyer auquel on a enlevé l'ensemble du patrimoine génétique du cacao ne donne généralement pas de bons résultats au niveau du goût. Enfin, sous prétexte de lutte contre la pénurie, certains pays n'hésitent pas à légiférer. Au Brésil par exemple, une loi autorise un chocolat noir à 33%, au lieu de chocolat à 55%. En définitive, on fait croire au consommateur que le meilleur moyen de lutter contre la pénurie est de produire un chocolat trafiqué alors que la solution la plus simple et la plus juste, serait d'améliorer la rémunération des producteurs de cacao.

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