Auguste Escoffier, visionnaire dans l'âme

C'est LA référence en terme de cuisine française, Auguste Escoffier a révolutionné la gastronomie et lui a permis de s'exporter à travers le monde entier. Retour sur un artiste des fourneaux.

Auguste Escoffier, visionnaire dans l'âme
© MARY EVANS/SIPA

Auguste Escoffier était un passionné des mets et des mots. Le monde de la gastronomie lui doit beaucoup. Il a su réorganiser les cuisines et les rendre fonctionnelles pour servir toujours plus de couverts. Fini "l'aboyeur" qui annonce les bons, il en a fait un "annonceur". il a transformé l'ambiance des cuisines auparavant brutales en un lieu de créativité. Les menus, Auguste Escoffier les écrivait de sa propre plume. Amoureux des produits français, il a écrit de nombreux livres aujourd'hui considérés comme des bibles. On lui doit aussi la création de recettes appréciées à l'internationale telles que la pêche Melba et la poire Belle-Hélène.

Une biographie marquée par une ambition sans limite

Né à Villeneuve-Loubet le 28 octobre 1846, le jeune Auguste baigne dès son plus jeune âge, dans le milieu de la cuisine. A l'adolescence, il entre en apprentissage dans l'établissement de son oncle, le Restaurant Français. A 19 ans seulement, il s'installe à Paris et intègre Le Petit Moulin Rouge, un cabaret mondain. Commence alors une expérience lors de laquelle le cuisinier côtoiera le gratin de l'époque. L'exposition universelle de Paris en 1867 lui offre une visibilité hors pair. Alors que se pressent les personnalités les plus influentes de l'époque à sa table, il créé des plats en leur honneur. Naîtront ainsi la salade Eugénie en hommage à l'impératrice, les noisettes d'agneau Cora Pearl ou encore le suprême de poulet George Sand. Il est jeune certes, mais en est persuadé : un jour, il sera chef de brigade d'un grand restaurant.

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© MARY EVANS/SIPA

Lors de la guerre franco-prussienne de 1870, il cuisine pour les soldats de Moulin-les-Metz avant d'être nommé chef de cuisine du Quartier-général de Patrice de Mac Mahon. Une expérience pas de tout repos, qui lui permet tout de même d'apprendre à cuisiner les restes de nourriture - exit le gaspillage alimentaire ! - et soigner la présentation des plats. A son retour, après un passage au Restaurant Maire, Auguste Escoffier intègre les cuisines du Grand Hotel de Monte-Carlo où il côtoiera les plus grands de l'époque. C'est d'ailleurs lors de ce passage qu'il fera une rencontre qui bouleversera son destin, celle de César Ritz"La sympathie qui se manifesta entre nous nous permit de travailler en communion d'idées et de pensées. [...] Jusqu'à sa mort, survenue pendant la guerre de 14, nous restâmes des amis inséparables" dira-t-il. Le chef suit ainsi l'entrepreneur à Londres pour ouvrir Savoy, puis Rome pour l'ouverture du Grand Hotel, Paris pour le Ritz et enfin de nouveau la capitale britannique pour le Carlton, où il officiera jusqu'à sa retraite en 1921.

En 1906, lors d'un dîner en l'honneur de l'empereur d'Allemagne Guillaume II, ce dernier aurait dit au chef : "Moi, je suis l'empereur d'Allemagne, mais vous, vous êtes l'empereur des cuisines !" Un titre qui le suivra toute sa vie. En 1928, preuve de son excellence, Auguste Escoffier devient le premier cuisinier à être fait Chevalier de la Légion d'Honneur.

Malgré un travail prenant, il ne néglige pas sa vie personnelle pour autant. Auguste Escoffier épouse en effet Delphine Daffis en 1878 et est père de trois enfants, Paul, Daniel et Germaine. Lorsque son épouse décède le 27 janvier 1935, Auguste Escoffier est placé en clinique, où il s'éteindra quelques jours plus tard, le 12 février 1935, à l'âge de 89 ans.

Pour rendre hommage à ce grand cuisinier, une école de cuisine - l'Ecole Ritz Escoffier - a vu le jour au sein même du palace parisien, un Musée Escoffier de l'Art Culinaire est installé dans la maison natale du chef dans les Alpes-Maritimes, et l'association des Disciples d'Escoffier a vu le jour en 1954. Présente aujourd'hui dans 27 pays, elle vise à transmettre aux nouvelles générations, l'esprit d'Auguste Escoffier et promouvoir le respect de la culture gastronomique. Un des disciples d'Auguste Escoffier lui a d'ailleurs consacré un ouvrage dans le lequel il précisait que le but principal d'un cuisinier c'est la perfection et que la simplicité et l’honnêteté permettent de l'atteindre.   

Savoy, Carlton, Ritz : des adresses de prestige

Tout au long de sa formation, Auguste Escoffier fait ses armes dans plusieurs restaurants de l'Hexagone. Mais c'est après la guerre, alors qu'il est en poste au Grand Hotel de Monte-Carlo, qu'il fera la rencontre de César Ritz, qui changera sa vie. Entre les deux hommes, le coup de foudre professionnel est tel que le cuisinier n'hésite pas à s'envoler à Londres pour assurer l'ouverture du Savoy. Dans cet établissement, Auguste Escoffier innove en créant des menus à prix unique"Le maître d'hôtel prenait le nom de la personne, l'inscrivait sur une feuille détachée d'un carnet [...] ; je composais alors le menu à mon idée. Le double de ce menu était conservé dans un livre spécial de sorte que, lorsque la même personne revenait commander un dîner du même genre, je n'avais qu'à ouvrir mon livre et changer les mets qui lui avaient été servis dans le précédent dîner" décrit-il dans ses Souvenirs.

En 1895, le Grand Hôtel de Rome voit le jour. Auguste Escoffier dirige alors une brigade de cuisiniers formés au Savoy. Trois ans plus tard, c'est à Paris qu'il s'installe pour diriger les cuisines du Ritz, fraîchement ouvert. Un séjour qui sera de courte durée car un nouveau défi l'attend outre-Manche : l'ouverture du Carlton dans la capitale britannique l'année suivante. Aux fourneaux, près d'une soixantaine de cuisiniers. Mais ici, point de prises de bec ou autres envolées lyriques. Auguste Escoffier veille à ce que sa brigade travaille dans le calme et la propreté. Les cuisiniers devront ainsi être propres - le chef devient un représentant d'un établissement -, méticuleux, ne pas fumer, ni boire ou crier. Une nouveauté !

Des livres incontournables

Quel chef n'a pas un jour lu un ouvrage signé Auguste Escoffier ? Créateur de la revue culinaire intitulée Les Carnets d'Epicure, il est l'auteur de nombreux articles parus dans l'Art Culinaire et le Guide Culinaire. Celui qui est le précurseur de la cuisine moderne - il invente le concept de "brigade" avec un juste partage des tâches et veille à ce que les cuisiniers travaillent dans le calme - a, à son actif, des ouvrages de référence comme le Guide Culinaire (1903) qui compile plus de 5000 recettes, Le livre des menus (1912) ou Ma cuisine (1934), qui pose les bases de l'art culinaire français moderne.

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© Oleksandr Prokopenko

Une cuisine innovante

Dès son plus jeune âge, Auguste Escoffier créé des recettes inspirées par les personnalités qui l'entourent - il en côtoiera de nombreuses tout au long de sa vie - mais aussi par les événements. S'il voue un culte aux recettes traditionnelles, il n'hésite pas à les dépoussiérer en les allégeant notamment. Exit la farine, les bouillons et jus de viande sont ainsi préférés pour l'élaboration des sauces. Des sauces qu'il bichonne... jusque chez les français. Auguste Escoffier devient en effet le premier chef de l'histoire à collaborer avec une marque d'agro-alimentaire en faisant connaître le fameux bouillon cube Maggi. Cet innovateur de génie est également l'inventeur... des tomates concassées. A l'époque, seule la purée de tomates était de mise. Il innove donc en mettant des tomates pelées en boîte et trouve plusieurs années plus tard, un entrepreneur décidé à les commercialiser. Par ailleurs, amateurs de produits français, Auguste Escoffier n'hésite pas à faire venir les ingrédients de France lors de son séjour à Londres, faisant ainsi de lui, un véritable ambassadeur de la cuisine française à l'étranger.

Belle-Hélène, Pêche Melba, Cailles Lavallière : des recettes cultes

Auguste Escoffier a, tout au long de sa vie, innové en cuisine. A son actif, des recettes devenues aujourd'hui cultes. A l'occasion de la première de l'opérette La Belle Helène d'Offenbach à Paris, le chef compose un dessert garni de poires pochées nappées de coulis chocolaté et accompagnées d'une glace vanillée. La poire Belle Hélène est née.

Alors qu'il assiste à une représentation de la chanteuse lyrique Nellie Melba à Londres, Auguste Escoffier est tellement bouleversé, qu'il créé un dessert dans la foulée composé de pêches pochées dans du sirop vanillé et accompagnées de glace vanillée et coulis de framboise. La pêche Melba - présentée à l'origine sur un bloc de glace en forme de cygne - fait immédiatement sensation. 

Véritable précurseur, il imagine de nouvelles recettes en utilisant les restes pendant la guerre franco-prussienne. A son actif, les Suprêmes de poulet George Sand, les cailles Lavallière, timbale Grimaldi, fraises Sarah Bernhardt ou encore les Soufflés Montmorency.