Tabata Bonardi, dans les pas de Paul Bocuse "Monsieur Paul est un grand-père pour moi"

Vous souvenez-vous de votre première rencontre avec Paul Bocuse ?
Qui ne se souvient pas de sa première rencontre avec Paul Bocuse ? Je l'ai rencontré pour la première fois à l'Institut Paul Bocuse. Un jour, les élèves étaient convoqués. Je me rappelle que tout le monde avait mis sa plus jolie veste, bien repassée, bien blanche, avec des chaussures bien cirées. Monsieur Paul était venu nous rencontrer, pour échanger avec nous. J'avais 25 ans. Ce n'est qu'à l'occasion des MOF que j'ai vraiment pu discuter avec lui.

"Paul Bocuse est un homme de valeurs, respectueux et généreux"

Comment nous décrieriez-vous ce grand chef ?
On parle souvent de Bocuse en tant que chef, en tant que pape de la cuisine française. Moi, je vois davantage l'homme qui se cache derrière le chef. C'est quelqu'un qui a des valeurs, qui est respectueux et généreux. C'est un peu comme un grand-père pour moi, avec qui je discute le matin autour d'un café, et qui t'explique la vie. Pendant le service, lorsqu'il met sa veste de cuisinier, il redevient le "Big Boss", le Chef. Ce sont deux facettes très intéressantes, et très riches pour les personnes qui l'entourent.

Il paraîtrait même que vous l'avez dans la peau, avec un tatouage réalisé en son honneur ?
Oui, j'en ai un. Je l'ai fait avant que le Marguerite n'ouvre. C'est quelque-chose de très personnel. Un jour, c'est sorti dans un magazine, et ça a un peu fait le buzz, malgré moi. C'est juste un signe de reconnaissance envers la personne pour qui je travaille. Je me dis qu'un jour, quand il ne sera plus là, il restera présent à travers ma cuisine et ce tatouage. Je l'ai fait sur le poignet droit, car c'est de cette main que je tiens mon couteau. C'est un peu comme s'il inspirait mes gestes, comme s'il me guidait.

Comment avez-vous appris que Paul Bocuse vous désirait comme chef ?
Un jour, il m'a appelé sur mon téléphone portable. Il souhaitait me parler, autour d'un café. Je pensais qu'il allait me proposer de travailler à Collonges. Mais il m'a parlé d'un projet important, qui allait se concrétiser dans 3 ans. Il souhaitait ouvrir un joli restaurant, dans un beau quartier de Lyon. Il voulait rendre hommage aux femmes, aux mères lyonnaises qui l'ont formé et souhaitait donc une femme en cuisine. Cette femme, c'était moi !

"J'ai tout plaqué pour m'investir dans le restaurant Marguerite"

Comment avez-vous réagi à cette annonce ?
Je me suis effondrée, c'était juste magique ! J'ai dit oui sans réfléchir une seconde, alors qu'à l'époque j'avais mon propre restaurant japonais. J'ai tout vendu pour m'investir dans ce projet.

Qu'est-ce que cela vous fait d'être la première femme à la tête d'un établissement de Paul Bocuse ?

C'est un grand honneur, mais aussi d'énormes responsabilités. Je sais que l'on m'attend au tournant : je suis une femme, je ne suis pas Française, et l'on me confie les cuisines d'un lieu de prestige. Il y a de la jalousie, des gens qui doutent de mes capacités, qui pensent que je n'ai pas les épaules pour ça. C'est comme si je cuisinais avec 15 000 femmes sur mon dos : je suis la première, et j'espère que je ne serais pas la dernière. Si je ne réussi pas, je pourrais bien rester la seule à avoir eu cet honneur. Je n'ai pas le droit à l'échec, et je me mets beaucoup de pression pour réussir. Heureusement, je suis perfectionniste !

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