Le chef Eric Guérin, un chef vivant "Ma cuisine est vivante"

l'âme d'artiste d'éric guérin s'exprime dans le tracé de son chemin de vie.
L'âme d'artiste d'Éric Guérin s'exprime dans le tracé de son chemin de vie. © Olivier Marie

Le JournalDesFemmes.com : Comment vous est venue votre passion pour la cuisine ?
Éric Guérin : Je voulais initialement m'orienter vers une carrière artistique. Ma maman a ouvert une galerie d'art à Limetz Villez, à deux pas de Giverny (78). La galerie était à la maison, tout un réseau d'amis y venaient pour assister aux vernissages, et restaient pour dîner. J'ai commencé à aider ma maman, et c'est à partir de ce moment que j'ai su que je voulais une maison remplie d'œuvres d'art, dans laquelle les gens viendraient passer un bon moment. J'avais à peine 12 ans !

"Je reçois un uppercut du Président Sarkozy : l'Ordre National du Mérite à l'Élysée"

Quelles ont été les étapes les plus importantes de votre parcours ?Chaque étape est importante pour construire un homme. Surtout quand il n'y a qu'un fil entre vie privée et professionnelle. Si je devais en sélectionner quelques-unes, la première serait en 1986, lors de ma découverte de la Brière. Cela a changé le cours de ma vie. A peine 10 ans plus tard, alors que je n'avais que 25 ans, je me suis installé à la Mare aux Oiseaux. C'était un pari de fou mais j'ai réussi à décrocher une étoile au Michelin. C'était inespéré j'étais seul en cuisine et seulement cinq personnes faisaient tourner la maison. Aujourd'hui, nous sommes entre 35 et 45 à la Mare aux Oiseaux, et une quinzaine au Jardin des Plumes. L'étoile a été salvatrice. En 2004, mes collaborations avec Alain Ducasse pour Fou de France, et les titres de chef de l'année du guide Champérard, Omnivore, Générations.C ... m'ont ouvert la porte des médias. Pour booster mon image, j'ai crée ma boîte de comm', l'Oiseau fait son nid avec un ami, Benoit Debeauquesne. En 2009, le reportage de l'émission Des racines et des ailes sur France 3 a mis la Mare aux Oiseaux sous les feux des projecteurs et m'a permis de créer cinq suites supplémentaires, et d'améliorer la maison. En 2011, j'ai eu un coup de cœur pour le Jardin des plumes. Suivront deux ans de combat acharné avec les banques, une période très difficile pour moi. En 2012, le Président Sarkozy m'a convoqué à l'Elysée. J'y suis allé pensant recevoir une médaille en chocolat, et je reçois un "uppercut" du Président : l'Ordre National du mérite à l'Elysée, une véritable reconnaissance pour toutes ces années d'investissement. 2013 sera l'année de l'ouverture du Jardin des plumes, et du tournage de Top chef : les choses reprennent à un rythme presque normal !

La "Mare aux Oiseaux", le "Jardin des Plumes", pourquoi ces noms "volatiles" ?
J'ai découvert la Brière lors de mes voyages autour du globe, à la découverte des oiseaux. Il était tout naturel de leur rendre hommage dans mon premier restaurant. Ils me servent souvent de support, à travers leurs migrations, pour construire mes plats. Pour le Jardin des plumes, c'est une référence à Giverny, le terrain de jeu de ma jeunesse et aux traces que laissent les piafs dans un jardin. Des plumes. Ça sert à beaucoup de choses les plumes : peindre, écrire, dormir ou se caresser....

Vous gérez également le Season's, sur la plage de la Baule. Comment vous organisez-vous pour jongler entre tous ces établissements ?
J'ai la chance de former des jeunes passionnés et passionnants. C'est une grande fierté de pouvoir leur transmettre, en plus d'une patte culinaire, un état d'esprit. J'ai placé Benjamin Larue au Season's, Joackim Salliot au Jardin des plumes, sans oublier Nadia Socheleau, magicienne en salle et cogérante avec moi. Albert Riera est mon bras droit en Brière. Avec des fidèles aux postes clés, de la confiance, du respect, de la passion et de l'amour, tout est beaucoup plus sain et facile.

Est-ce compliqué de déléguer ses établissements à d'autres chefs ?
Non car je donne le "la". C'est certain qu'il faut accepter que son idée de départ soit modifiée. Mais je prends ça comme une force. Cela fait évoluer ma cuisine, et apporte une variante dans chacun de mes lieux. Albert est très proche de moi, nous sommes toujours en contact avec Benjamin. Joachim a davantage besoin de s'émanciper, je lui laisse donc beaucoup de liberté. La confiance est importante à chaque poste !

"Je puise mon inspiration dans la vie de tous les jours : voyages, rencontres, humeurs, etc..."

Comment définiriez-vous votre cuisine ?
Vivante, en évolution permanente. Je puise mes inspirations dans la vie de tous les jours : voyages, rencontres, humeurs... Je m'appuie aussi sur une triangulaire terre, mer et ciel. Je fais une cuisine d'émotions, qui raconte des histoires. Je dessine mes plats comme des images, j'utilise les produits et techniques pour agiter les sens. Tout y passe : vue, odeur, ouïe, goût, toucher... La partition est large. 

La "Mare aux Oiseaux" est auréolée d'un macaron Michelin, qu'est-ce que cette étoile a changé dans votre carrière ?
Cela a été essentiel pour la survie de la Mare aux oiseaux. Il a permis de développer beaucoup de choses autour. C'est comme un label. J'espère que Giverny en aura un aussi, pour stabiliser l'affaire. Cette première étoile brille depuis 14 ans, et cela ne sort pas de nulle part : je gère mon image, mes maisons, mes équipes et ma cuisine. J'ai aussi la chance d'avoir de belles maisons, de beaux collaborateurs, et surtout une très belle clientèle. L'expérience est là, pour le reste, c'est Michelin qui décide.

Votre premier établissement a déjà 20 ans. Qu'est-ce qui vous permet d'encore avancer ?
Je fais un métier de construction humaine, et ce qui me fait vibrer, c'est d'avancer, de grandir, d'évoluer et de profiter de chaque jour qui passe. Cela vaut également pour mes équipes. Je veille à ce que tout le monde se sente bien. On travaille énormément, autant le faire dans un bon environnement. Dans mes maisons, tout le monde respire, et cela se ressent.

Quelle a été la rencontre professionnelle qui vous a le plus marquée ?
La vie ne peut être faite que d'une seule rencontre ! Je suis toujours comme un gosse devant les grands hommes qui font notre métier. Impressionné quand je croise Monsieur Ducasse, respectueux devant un Bras ou un Roellinger, hypnotisé par le génie de l'essentiel chez Passard. Ce sont toutes ces rencontres qui me nourrissent, et tellement d'autres aussi. Mes plus belles années de cuisinier ont été celles de Générations.C., une génération de jeunes chefs qui se réunissaient autour d'un vrai bouillon de culture cuisine. Dommage que l'ego de certains aient tué l'aventure...

Avez-vous d'autres projets professionnels en cours ou à venir ?
En ce moment, j'aspire à rester au calme. Depuis 2009, j'alterne les travaux à la Mare aux Oiseaux et le Jardin des Plumes. Je prends d'énormes risques économiques, dans un contexte difficile. Mon projet actuel est de trouver la force d'équilibrer les deux maisons, pour que l'on puisse enfin tous respirer. C'est un travail énorme, entre la cuisine et l'image. Les jours de relâche sont rares !

"Je n'ai pas le droit à l'erreur, ni au coup de mou"

Sur un post sur votre page Facebook en date du 14 février, vous évoquez votre "choix de vie", quel est-il exactement ?
Un condensé de mes réponses précédentes. Une vie tournée vers les autres, grâce à un métier passionnant et des lieux. Pas toujours facile, mais il faut tenir la barre, quoi qu'il arrive. Je n'ai pas le droit à l'erreur, ni au coup de mou.

Êtes-vous un "chef 2.0" ?
Depuis mes débuts je suis sur les réseaux sociaux. Je gère mes comptes, épaulé par Benoit Debeauquesne, qui a aujourd'hui une boîte spécialisée. C'est essentiel d'être visible aujourd'hui.

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